Le web journalisme ou la culture du vide

Dans ma prime jeunesse, je souhaitais devenir journaliste. Je m’imaginais devant ma machine à écrire puis mon clavier d’ordinateur taper le récit de grandes enquêtes réalisées sur le terrain. Avec le recul, je me rends compte que j’ai jamais vraiment imaginé dans quel domaine j’allais écrire mais c’était la seule certitude : j’écrirai. Puis la vie m’a fait prendre un autre chemin, intéressant mais différent. Et quand je vois la gueule du journalisme en version 2.0, je suis bien contente de pas être tombée dedans.

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Un fait divers se produit. Genre une prise d’otage ou un tireur fou dans Paris. Aussitôt, les journalistes du web doivent vite vite pondre un article pour espérer faire tache d’huile sur la toile et les réseaux sociaux et sortir au plus vite sur Google si quelqu’un les cherche. Du coup, on multiplie les articles et comme on a rien à raconter, on sort désormais des navrants « ce qu’en dit Twitter » en remplissant l’article de copier/coller de tweets en mode « ohlala, trop peur, beuh ! ». Excusez-moi, je vais m’évanouir devant ce contenu à ce point incroyable et pertinent !

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Plusieurs explications à ce phénomène. En un, flatter Dieu Google pour le référencement, je vous invite à découvrir cette super vidéo sur le sujet traitant essentiellement de l’univers des jeux vidéos mais ça marche pour tout le web, en fait. En très gros : on multiplie les articles sur les sujets tendance pour remonter le mieux sur Google et choper plein de googlonautes comme ça, ça fait plein d’affichage sur les publicités et ça rapporte plein de revenus. Ouais ok. Sauf que perso, à l’arrivée, je finis par boycotter ce genre de sites. Si c’est pour lire des tweets que j’ai possiblement déjà vus dans ma timeline, ça ne m’intéresse pas vraiment.

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Autre explication : l’amour du buzz. Alors je vais être honnête : en tant que salariée du web, je ne supporte plus ce mot. On crie au (bad) buzz dès que 30 personnes en parlent, c’est ri.di.cu.le. En général, pour prendre du recul, je me pose cette question « mes parents en entendront-ils parler un jour ? ». Autrement dit, est-ce que ce brouhaha sortira de son petit bout de toile pour passer sur d’autres médias qui conserve la majorité des parts de voix ? Non ? Alors calmez-vous deux minutes sur votre « buzz » qui sort à peine de votre mini cercle connecté. Et encore, je parle de mes parents mais j’ai pas besoin d’aller chercher si loin. Je prends mes amis qui bossent pas dans le web ou même ma soeur qui ne passe pas ses journées sur les réseaux sociaux et voilà, tous ces gens là n’entendent pas parler du dernier tweet crétin de Nadine Morano. D’ailleurs, lisons ce très bon article sur le journalisme tweet, il éclaire bien ce que je raconte.

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Bref, pourquoi envoyer un mec sur un événement quand il suffit de copier-coller des tweets. C’est sûr, ça vous économise le micro-trottoir. Mais quand on demande à des gosses les droits sur une image qu’ils vous donnent alors que l’image ne leur appartient finalement pas, quand on trouve qu’un texte ponctué d’un LOL ou d’un MDR est un contenu intéressant pour un article qui se veut un minimum sérieux. Et encore, je vous parle même pas des sites de « buzz » pur qui balancent tous la même vidéo à 10 mn d’intervalle avec deux minables lignes de texte histoire d’être sûrs d’attirer un max de lecteurs. Vidéo reprise par tous les sites « d’information » histoire de profiter eux aussi des trois lecteurs et demi que ça peut leur rapporter.

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Et ça me gonfle. J’en ai marre de cette paupérisation croissante des contenus. J’en ai marre de vouloir une info sur un événement et tomber sur des trucs creux où on me demande mon avis à la fin, histoire de choper un max de commentaires. Vos gueules, vos gueules. Les journaux en ligne ouvrent en très grands leur colonnes pour publier tout et surtout n’importe quoi, offrant à leurs lecteurs des tribunes leur rapportant des vues et du référencement sans débourser un kopeck. Au mieux, les journalistes improvisés ont un blog et profitent de cet espace de parole pour se faire un peu de pub, au pire… Au pire ils se font baiser dans les grandes largeurs juste pour espérer avoir 30 secondes de cyber gloire. Et tout ça nourrit la machine à produire du vide, du creux, du sans âme. Aujourd’hui, je ne suis pas une journaliste qui copie-colle des captures d’écran. Et j’en suis particulièrement ravie.

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PS : Ne généralisons pas, certains e-journaux conservent une volonté de produire du fond. Par exemple; j’aime beaucoup Slate, c’est mon chouchou et non, j’écris pas dedans, c’est un avis objectif.

9 réflexions sur “Le web journalisme ou la culture du vide

    1. Oui, c’est pour ça que j’ai nuancé dans mon PS ! 🙂 Mais les Meltybuzz, Minute buzz, Konbini, Glamour, Madmoizelle sur pas mal d’articles, Topito, le lab Europe 1 et tous les Le plus obs et Huffington, je trouve dommage de lire 5 fois le même article. D’ailleurs, je les lis plus ! Mais ça m’exaspère cette culture du vide qui prend quand même pas mal de place :/

  1. si seulement c’était différent dans les autres médias …
    ex opération de hollande en boucle dans les JT, nabilla dans la presse écrite, etc. Le vide aspire le « journalisme » bien au delà du web… Les journalistes ne connaissent pas les sujets, et ne cherchent que les petites phrases ou à faire polémique. Quand avant la reprise des dernières vacances, certaines chaines de télé font des reportage en se demandant les lycéens vont reprendre les manifs pour le retour de léonarda … ce n’est plus du journaliste. Il ne se passe rien, et ils font un reportage pour sigaler/provoquer l’évenement de la semaine suivante.
    Greve à la scnf, les journalistes enchainent les témoignages de gens qui refusent d’etre pris en otage … blocage des route par les routiers : témoignages des gens qui refusent d’être pris en otage ? non, juste des commentaires pour indiquer qu’ils iront jusque au bout. Quand la « haut » (presse écrite, télé, etc) descent, le « bas » (web) coule.

    1. J’avoue que je ne regarde plus la télé mais je vois tout à fait de quoi tu parles. Nabilla (et consort), ça me donne le tournis. J’arrive pas à déterminer qui se fout de la gueule de qui en fait. Les producteurs qui trouvent des petits jeunes pour les faire tourner à la télé en leur faisant croire qu’ils deviendront célèbres, ces gamins qui ont compris les règles du jeu et ramassent tout ce qu’ils peuvent. Les seuls perdants me paraissent être la morale et la société. J’ai toujours un peu de mal à me dire que pour ramasser un joli pactole, suffit d’être refaite et idiote.

      Pour le reste, j’ai toujours la sensation que les médias sont dans des espèces de prédictions autoréalisatrices : ils veulent que ça saigne, ils coupent dans le vif et montrent le sang en disant « ah, vous voyez ! ». C’est précisément pour ça que j’ai arrêté de regarder la télé et j’essaie de garder la tête froide quand je lis les médias histoire de pas être contaminée par l’espèce d’hystérie collective que veulent créer les médias pour faire toujours plus d’image.

  2. Sans oublier la course aux comms, en mode « blogueur d’il y a 10 ans », car Google va aussi remonter les articles les plus commentés. Ceci explique peut être la tolérance envers les trolls de tous poils qui sévissent sur les sites de « grands » médias. Tout ce qui nourrit le moulin à vent…

    1. Ah mais carrément. Dans la vidéo de 2 mn pour convaincre, ils l’expliquent bien. Y a même une certaine culture du troll sur certains sites, des mecs dont on sait que leur comm va en générer 10 autres d’indignation, des sortes de bons clients, on dira. Quand tu vois le grand écart entre la charte de modération et ce qui passe sur les sites, ça me fait un peu rire. D’ailleurs, tout site qui joue la course aux visiteurs terminera dignement votre article par un « vous en pensez quoi ? »

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