Cachez ce sang que je ne saurais voir

Actuellement, je suis en vacances chez mes parents et ça fait du bien mais c’est pas le sujet de l’article. Hier ? On regardait le JT de 13h sur France 2, suivi par l’hebdo du médiateur, l’émission où les téléspectateurs râlent. Hier, le thème était : on a vu un reportage sur le Turkménistan dans Envoyé Spécial et ça nous a dérangé car la journaliste a mis sa vie et celle de ses complices sur place en danger. Et alors ?
 
Hier, j’ai pu prendre conscience à quel point la réalité peut déranger à la télé. Surtout à la télé car l’image donne un vernis de vérité au propos. Parce que le même reportage à l’écrit serait passé relativement inaperçu parce qu’on ne voit pas. Lors qu’à la télé, on voit donc c’est vrai. Bon, j’écrirai sans doute un article sur la magie du montage mais c’est pas tant le sujet de l’article du jour. Donc hier, j’ai appris que la télé ne pouvait pas montrer que dans des pays dont on ne parle pas au JT, il y a la guerre. Ben merde alors !
 
La semaine dernière, j’ai lu le nouveau bouquin de David Abiker, Le mur des lamentations. A un moment, il regarde le JT de 20h et explique en gros
qu’il aime ce moment où le présentateur lui donne l’impression qu’il a échappé à tous les malheurs égrenés pendant l’émission. Or, là, sur notre Turkménistan, une dame explique : « moi, j’ai été révoltée par ce reportage parce que quand je suis partie me coucher, je me sentais coupable et que je pouvais pas les aider. ». Oh la vache ! Oui parce que le malheur, on veut bien le regarder si on peut se racheter une conscience après. Le Wolrd trade center ? Une minute de silence, peut-être quelques dons et voilà, notre conscience est apaisée. Le tsunami ? Quelques dons et on oublie. La misère en Afrique ? Quelques sous expédiés, un peu de riz et un cahier et voilà, on dort tranquille. Limite, ça me fait penser aux
indulgences vendues par l’église à la période moderne qui permettaient de racheter ses péchés. C’est pas mieux, franchement !
 
Sauf que le monde n’est pas un épisode des Bisounours où tout est bien qui finit bien. Je ne dis pas que c’est mal de donner de l’argent aux assos, d’apporter sa petite pierre à l’édifice car, effectivement, si personne ne fait rien, ça n’ira pas mieux. Mais est-ce parce qu’on a donné 30 euros qu’on doit se laver les mains du malheur du monde, regarder le JT en toute sérénité parce que les gamins qui crèvent de faim, ça fait mal au cœur mais « nous, on a donné ! ». Ce qu’on veut voir au JT, c’est soit ce qu’on peut arranger (ou du moins croire que…) ou que ce soit des affaires qui ne nous concernent pas. L’Irak, c’est moche mais c’est la faute aux Américains. Nous, on voulait pas y aller, on a bien fait. Le Liban, c’est pas beau mais on fait partie de la force internationale, on s’implique alors ça va, on est rassurés.
 
Mais nous montrer tout ce pan du monde où la France ne cherche absolument pas à intervenir alors qu’il y a à faire, non, non, on ne veut rien voir.
Ni la dictature, ni la barbarie. Pas de cadavres non plus. Comment le sang peut-il couler sans que la France réagisse ? C’est impensable enfin ! Alors cachons ce Turkménistan au nom imprononçable qu’on ne sait même pas placer sur une carte ! Parlons plutôt du Liban et de la misère en Afrique, ça nous rassure, on a déjà donné donc on peut regarder en tout sérénité.
 
En tant que journaliste, je me pose des questions quand j’entends ça et je suis franchement écoeurée. Il est évident qu’on ne peut pas parler de tout, surtout à la télé. En 30 mn, faut caser le national, l’international, le sport, l’insécurité, le sabotier de Charentes et l’interview de la starlette à la mode. Dans la presse écrite, on peut proposer des reportages sur le Turkménistan, le Kirghizstan ou l’Ingouchie mais à la télé, non. Le pire, c’est quand on ose montrer un cadavre avec du vrai sang qui coule. Non mais vous imaginez ! On est en train de manger notre entrecôte purée maison et on nous montre un mort. Un mort pour lequel la France n’a rien fait et pour lequel on n’a pas envoyé d’argent ; Bouh, non alors, c’est pas possible ! Comment ose-t-on nous étaler ça sous le nez ? Le monde est moche, on le sait, pas la peine de nous le rappeler tous les midis et tous les soirs. Et si, en plus, pendant les émissions d’information, on nous rallonge la liste des pays où ça va mal plutôt que de nous montrer la jet set en vacances, c’est plus possible !
 
Mais croyez-vous vraiment que c’est parce qu’on ferme les yeux que les problèmes n’existent plus ? Faisons l’autruche et vivons heureux dans un
monde rose bonbon au parfum de guimauve. Evidemment qu’on ne peut pas régler tous les problèmes. Evidemment qu’il ne suffit pas d’un claquement de doigts pour régler la misère dans le monde et installer des régimes non répressifs partout dans le monde. Evidemment qu’il ne suffit pas de regarder pour que les guerres cessent. Mais cessons de nous voiler la face : à quoi ça sert de gueuler parce que des journalistes parlent d’un pays dictatorial où les journalistes locaux meurent en prison suite à des coups et blessures ? Pour une fois qu’une émission de télévision nous propose un reportage qui sort un peu des sentiers battus et arrête de brosser le spectateur dans le sens du poil, on devrait plutôt applaudir !

18 réflexions sur “Cachez ce sang que je ne saurais voir

  1. Oui, dans l’ensemble c vrai qu’on se voile la face… et on a même bonne conscience assez facilement: en achetant tel café ou telle crème, je ne fais pas de mal à la planète, donc je lui fais du bien! En gros, on se donne à soi-même en ayant l’impression de donner aux autres…
    Mais en même temps, voir des cadavres qui pissent le sang, ce n’est pas si rare; j’aurais même plutôt l’impression qu’à force d’en voir, les gens s’habituent: leur purée du dimanche n’en est pas moins goûtue, juste un peu plus salée; c’est dangereux aussi de s’habituer à la misère du monde… Ces images doivent donc, pour rester des « images chocs », pour remuer au moins un peu les télespectateurs, ne pas devenir trop fréquentes…
    C’est une question délicate en tous cas; on pourrait disserter dessus des heures, et moi j’ai beau m’indigner contre l’indifférence, je préfère souvent m’acheter une paire de pompes que donner 50 euros à Médecins du Monde; du coup, quel droit ai-je de faire la morale???

  2. Vu le niveau de compétence et d’objectivité d’un certain nombre de journalistes, il vaut parfois mieux qu’ils s’abstiennent de traiter des sujets, la non-information est sans doute préférable à la désinformation…

    D’autant plus qu’un journaliste qui se trompe (lourdement) ne le reconnait que très difficilement, et encore, seulement en privé. Mais bon, ce n’est pas tout à fait le sujet…

  3. Tout ce que tu dis est malheureusement bien vrai. On mesure souvent l’importance d’un fait à l’aune de l’impact médiatique que les journalistes veulent bien lui donner avec en prime une certaine dictature de l’immédiateté. C’est souvent moins intéressant quand c’est « has been ». As-tu lu l’article de JF Kahn parlant de la pensée unique journalistique?
    Je suis parti en Afrique à des endroits où j’ai vu plus que la détresse mais on n’en parlait pas du tout en France. Alors c’est bien d’être bousculé de temps en temps. A défaut de pouvoir agir directement, cela nous fait relativiser nos petits malheurs, perdre quelques certitudes et gagner des vraies convictions…

  4. C’est drôle je te sens bien remontée, sur ce sujet… Blague à part le souci c’est que « le sabotier de Charentes » ça fait plus d’audimat que le gamin de cinq ans qui vient de se prendre une balle. Tout est là, je pense. Donc MERDE à Jean-Pierre Pernault et oui aux autres supports d’informations.

  5. Hmm, Hmmmm mouais. Vaste débat que cela. Tout montrer, blabla, sélectionner, blabla, bonne conscience, cadavres ou pas cadavres, blabla….. Ok, c’est bien de s’interroger. C’est bien de titiller sa conscience. Mais il faut un peu mettre les choses à plat, et faire le tri. Critiquer le 20h ? Mais à quoi bon enfin ???? Le 20h n’est pas là pour faire de l’investigation !!! Juste pour donner au peuple une information formatée, pré-digérée, et certainement pas pour l’éduquer ni le faire réfléchir. C’est comme ça, et c’est tout. L’objectif est l’audience, point barre. Pour l’investigation, il y a la presse écrite et les mags TV. Certainement pas les bulletins d’info, 20h ou info en continue. Oui, il y a le phénomène de l’immédiat, oui les news sont interchangeables, un sujet chasse l’autre, oui oui et oui. Imaginez un peu un 20h qui suivrait ses « sujets » jusqu’à ce que le problème soit résolu. Et que son temps d’antenne ne soit pas extensible : 30 minutes et c’est tout. Alors, par exemple, il y a les mines antipersonnel. Va-t-on traiter le sujet jusqu’à ce que les choses bougent ? Après plusieurs jours du même sujet (ex : tsunami, ouragan Katrina….) les gens se lassent, et commencent à râler. Ben oui ! C’est comme ça. Parce que ils veulent bien s’informer, mais faut pas que ça les fasse chier non plus. Cette forme de TV vous fout les boules ? Vous révolte ? Arrêter de la regarder, ou si vous êtes journaliste, changer de médias. Mais il faut être un peu réaliste, non ?

  6. tu as écrit « Mais croyez-vous vraiment que c’est parce qu’on ferme les yeux que les problèmes n’existent plus ? »
    C’est bien beau mais je crois pas que montrer des cadavres, même dans les situations où on a donné des sousous, ça va être mieux. Oui on saura qu’il y a des problèmes, on l’aura vu de nos propre yeux. A la fin j,ai peur que ça devienne « un cadavre ? ah oui ça doit un des 20 conflits en ce moment mais je sais plus lequel » on les connaitra ce qui se passe mais bon c’est pas mieux.
    Il y a aussi à mon sens la protection des enfants. Si on montre tout ça au journal de 20h quand même il faut avoir un certain âge pour regarder ces images.
    je sais pas si j’ai été très clair en relisant… une opinion

  7. Je t’avoue que bouffer mes pates devant un cadavre, ca le fait moyen. Alors ok, c’est pour la bonne cause comme on dit, mais pas la peine de choquer à tout prix (on entre dans le débat du « choquer pour attirer l’attention, est-ce bénéfique ? »).
    C’est scandaleux de se dire qu’un problème chasse l’autre, que les gens s’en foutent mais… c’est normal ! C’est tout à fait humain. Personnellement, je préfère 5000 morts en irak que voir mon chien crever. Et j’ai même pas honte de le dire. Ose dire que tu n’es pas comme tout le monde, que tu pleure à chaque reportage ou à ces statistique qui affirment qu’un enfant meurt chaque seconde dans le monde, je ne te croyais pas.
    Ceci dit, je suis conscient qu’il y a des problèmes dans le monde mais je préfère me concentrer sur ceux de mon entourage proche.
    Ceci était un communiqué des enfoirés de France.

  8. Ola c’est bon je dis pas les enfants qui regardent la télé n’importe quand. Ça t’es jamais arrivé d’avoir comme devoirs de regarder les onfos pour des devoirs ? nan ? bah moi si c’est tout.
    Et quand je dis enfants je dis pas tous petits. Chacun n’a pas la même même « sensibilité ». On peut être montrer l’atrocité de quelque chose sans montrer des cadavres partout toutes les 2 sec expres pour faire de l’audimat des fois, parce que les gens aiment ça. il n’y a pas que les images qui choquent.

  9. La reaction de cette femme est dérangeante, aberrante, consternante et oui, le devoir du journaliste est d’informer quitte a deranger les ensommeillés…
    mais a l’époque où j’avais encore la télé et que je voyais des enfants palestiniens se faire descendre devant leurs parents impuissants ou une gamine mourir noyée d’épuisement suite à une inondation ou un môme se faire descendre par les escadrons de la mort, j’avais souvent juste l’impression d’assister à une débauche de jus d’hémoglobine…
    Oui la premiere fois que j’ai vu quelqu’un se faire descendre a la télé, ce mome par les escadrons, j’ai eu mal au coeur car je me suis dit que c’était comme dans les films!!!J’avais le même âge que ce môme et je me disais que cela aurait pu être autre chose qu’un reportage. ET ça m’a perturbé savoir que ce gamin etait mort comme sous mes yeux, pour rien et que ça ressemblait à un mauvais policier comme si sa mort était « déligitimée », fictionnalisée, irréelle tellement elle était crue…
    Tu dis que les parents devraient faire leur devoir, on ne parlera pas ici de leur « démission » mais les chiffres d’études médias sur le nombre d’actes violents fictifs et non vu par les générations actuelles d’enfants est effarant. il faut « conter » avec.
    C’est bien un problème que d’informer mais parfois au risque de banaliser… C’est bien simple dés qu’un conflit éclate, c’est pire qu’un marronnier. On y a droit en long large et travers comme si rien d’autre ne se jouait sur le globe et le traitement télévisuel de ces evenement est souvent obscene comme s’ils etaient incapables de traiter autre chose que des conflits a longueur d’années!!
    Heureusement que tous ne sont pas comme ça et ce n’est pas pour rien que des prix comme le fameux albert londres ont été crées…mais souvent beaucoup ne suivent que la TV et font l’almagame sans multiplier les sources d’infos.
    Et puis c’est une vieille histoire que vouloir faire ouvrir les yeux a des gens qui preferent grouiller dans la pénombre…
    Je suis très partagée non pas quant au fait de diffuser ces informations, elles sont nécessaires mais quant aux moyens de le faire et bien sûr il ne s’agit pas de bercer la vieille europe sur ses illusions de « monde de bisounours » et d’édulcorer ce qui s’y passe loin de ses yeux.
    Bref je te rejoins sur la question de la prise de conscience mais je conserve une réticence certaine sur le poids des MAUX, le choc des PHOTOS et des images souvent tellement déformées…

  10. Oulha ! On sent l’article « coup de gueule » écrit sur le moment !
    Ce que tu dit est très vrai, mais tout est une question de public ! Les gens qui nous refont régulièrement une représentation de « la technique de l’autruche » face aux infos qui les emmerdes, il yen a… Et puis il y a les autres…

    Reste à savoir qui est en majorité, et combien sont vraiment concerné par l’actualité… Reste à savoir lesquels sont en possession d’une carte électorale…

    Meuh !

  11. Hum, alors que je regardais,
    Si réponse à mes commentaires il y avait,
    Je ne les ai points vus,
    Peut-être avaient-ils disparus ?
    J’ai alors réalisé avec horreur,
    Que tu étais en mode « Modérateur ».
    Y a t il encore des gens mal intentionnés,
    Prêts à dévoiler ton intimité ?
    Qu’ils soient maudits et couverts de verrues,
    Eux les immondes sacs-à-pus!

    ManuMeuh (poête de bon matin, avant neuf heures, car après je suis trop réveillé pour ça)

    PS : Oui, je sais, je ne respecte pas le nombre de pieds ! Vous ne vouliez pas le remix des fleurs du mal non plus ?

    PPS : Je remercie EPO, camarde d’école, pour sa magnifique expression insultatoire : « sac-à-pus »

    Meuh !

  12. Del’horrible danger de la lecture: « Cette facilité de communiquer ses pensées tend évidemment à dissiper l’ignorance, qui est la gardienne et la sauvegarde des Etats bien policés. »
    Voltaire

    Faut dire ce qui est: le JT est un magazine, populaire, et gentillet.
    Pour s’informer, la petite dame de ton texte devrait lire le journal, ou regarder des chaînes telles que Arté, ou d’autres chaînes d’info.
    Bien sûr qu’il y a des guerres, des morts, des catastrophes dont on ne nous parle pas.
    Alors oui, c’est bien d’avoir des reportages comme ca. Avoir des images rendra toujours la chose plus réelle.

    Pour la petite dame: y a vraiment des gens qui croient que la France (et les autres, hein) envoie des super-héros pour aider, si c’est pas dans des intérêts économiques?

    De toute facon, du drame, on en bouffe déjà, à mort: une femme qui pleure lors du tsunami, un enfant noyé, des gens qui sautent du World Trade Center, des maisons détruites à la Nouvelle Orléans et une vieille femme qui a perdu sa famille entière. Voyeurisme. Minute de silence. Ca va mieux hein? Quoi? Ben, la conscience.
    C’est cool non? Après, que la catastrophe humanitaire continue en Asie (ou ne fait que commencer plutôt), peu le savent, ou s’en préoccupent. On a fait ce qu’on a pu…bref, je m’emporte, mais qu’est-ce que ca m’enerve les gens qui ne s’instruisent que grâce à la télé. ….

  13. Pour moi dans l’absolu le JT devrait permettre de comprendre et non pas transmettre des émotions, car l’émotion empèche la compréhension: c’est le cas de cette téléspectatrice du médiateur. Maintenant vu la brièveté (et on en a mal pour les grands reporters qui eux font le boulot) avec laquelle certains sujets sont traités il faut compléter sa vision d’un sujet avec la presse écrite, ça me parait indispensable.

  14. Oh, tu sais, moi je t’aime bien aussi! Suis fan de ton blog 😉

    Malheureusement, le journalisme écrit n’est pas à la portée de tous (et ce sans aucun jugement de valeur, je vois déjà que quand je décroche du journal « écrit » pendant 2 semaines, j’ai bcp de mal pour m’y retrouver quand je le re-ouvre le matin…)

  15. tout a déjà été dis à ce que je vois! mais je pense qu’avec internet il n’y a plus aucune excuse pour ne pas lire la presse écrite, perso c’est devenu mon petit automatisme du matin comme je lis les blog que j’aime bien. Maintenant, je n’ai pas vu le reportage mais ne crois tu pas qu’ils aient pu sélectionner les paroles de ces gens là? je suis peut etre un peu naïve mais je ne pense pas que les gens soient si dupe que ça! Je me trompe sans doute…

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