Mémoire du quotidien

par Bobby

Certains d’entre vous le savent peut-être déjà. Depuis le 20 mars 2009, j’ai entamé un projet expérimental particulier qui me tenait à coeur depuis longtemps : une série qui comporte pour chaque jour de l’année un petit épisode de trois minutes, mettant en scène la routine de voisins qui évoluent dans une résidence, au centre de laquelle se trouve un arbre, pivot de leur quotidien. Cette série s’appelle Autour d’un Arbre, et, à l’heure où j’écris, 21 épisodes sont déjà en ligne.


Souvent, quand on crée, on doit plaire. C’est chiant, mais c’est comme ça. Il ne faut pas se « foutre de la gueule » du spectateur, parce que sans le spectateur, y a pas d’oeuvre. Oeuvre, oeuvre… quand on a vingt et un ans, c’est un bien grand mot. Je préfère parler d’expérimentation. Quand je serai grand, j’espère, je ferai des « oeuvres ». On me payera pour ça, alors il faudra que ça marche. Donc je devrai prendre en compte les envies des gens, les attentes, les fantasmes. Et comme je me respecte, je devrai aussi m’écouter moi, et faire un compromis entre ce que je veux montrer et ce que les gens aiment. Ce qui les maintient en éveil. Ce qui leur donne envie de revenir. Il y a des mécanismes tout fait pour ça. L’homme est une machine bien connue des dramaturges depuis des millénaires.

En attendant, je suis petit, et je veux en profiter pour faire ce qui me plait à moi. Je ne dis pas que je me fiche complètement que mes petites productions soient hermétiques, ni que je me fiche que ça ne plaise pas à grand monde. Au contraire. J’ai un gros ego tout boursouflé qui se vexe férocement, même si dès le début je sais que ça va pas emballer les foules, quand on me dit « y a pas d’intérêt ». Et il faut dire que le fait de montrer des moments du réel, sans action, sans intrigue, avec une caméra qui tremble, un son mauvais et une lumière crue, ce que d’aucuns qualifieraient de « film de famille », ça fait pas bander. Mais moi, j’aime. Je vais pas dire que je sais pas pourquoi, parce que j’y ai pas mal réfléchi. Laissez-moi vous expliquer.

Je crois que j’ai un furieux besoin, presque viscéral, d’archiver le réel au jour le jour. De le mettre en mémoire. Parcourir ce blog, qui a plusieurs années derrière lui et une solide rigueur dans la publication des articles (merci à Nina), c’est pour moi particulièrement jouissif. Parce que c’est un espace qui a une histoire, une histoire proche de celle du journal intime. J’adore les journaux intimes. Relire ce qui s’est passé le 18 mars 2006, voir les détails qui se répètent à foison, puis évoluent, peu à peu. Regarder le cycle des saisons qui tournent. Les personnages qui changent. Si seulement Plus Belle la Vie cherchait moins l’audimat à tout prix et redevenais ce qu’elle devait être initialement, c’est à dire une série vraisemblable (et non pas l’histoire d’un quartier où tout le monde meurt dans des trafics aussi incessants qu’improbables), je trouverais ce soap merveilleux.

Et vous savez quoi ? Je ne suis pas le seul dans ce cas. Regardez les blogs par milliers qui éclosent sur la toile, ces gens anonymes qui racontent leur vie, qui conservent tout. Regardez Fessebouc, et la façon dont nous stockons tous nos faits et gestes : Bobby fait le ménage, Bobby part à la fac, Bobby est triste ce soir, etc. Regardez aussi la folie photographique, avec des téléphones, des appareils numériques, et nos disques durs qui en sont remplis à ras bord. Ma meilleure amie en est à un tel point qu’elle note tous ses textos depuis des années, qu’elle ne jette jamais rien avant d’avoir pris une photo (tous ses emballages y passent, son ordinateur en contient des milliers).

Je trouve ça fascinant. Nous avons un rapport au présent qui ne m’intéresse que dans la perspective ou cette multitude d’instants deviendra une multitude de souvenirs et constituera une histoire. Est-ce qu’il faut expliquer tout cela aux gens pour leur montrer que ma série n’est pas si cucu qu’elle en a l’air ? Ou est-ce qu’il faut laisser les gens réfléchir et trouver par eux-même ce qu’il peut y avoir de riche dans un tel projet ? J’avoue que ça, je ne sais pas encore.

Pour voir la série, c’est ICI.

4 réflexions sur “Mémoire du quotidien

  1. Salut Bobby
    Je t’avouerais que je suis perplexe. Si ce que tu aimes, c’est archiver le quotidien, les tranches de vie, n’est-il pas un peu paradoxal d’en filmer des faux ? Je comprendrais la démarche si tu posais ta caméra sur un trépied pour filmer la « vraie » vie, des gens qui ne soient pas des comédiens, mais là, il me semble que tu sapes le processus par la base en choisissant délibérément de manufacturer de faux moments insignifiants. Alors oui, des moments insignifiants il y en a dans la vie de tous les jours, et ls capturer sur le vif a sûrement un intérêt (après tout, notre égocentrisme d’humain ne connaît pas de bornes, on le voit chaque jour sur le net – on adore se regarde le nombril) mais pour moi, la création est un peu vaine si elle ne fait que « rendre compte ». Autant faire du documentaire, non ? Pourquoi as-tu choisi, spécifiquement, les 3 instants du 1er épisode, par exemple ? Pourquoi un garçon qui écrit, une fille qui lit ? Je veux dire, cet arbre a aussi dû voir nombre de couples qui se disputent, d’ivrognes qui lui pissent dessus… Je grossis le trait, mais tu vois ce que je veux dire.

  2. Bien sûr que je vois 🙂 Et c’est une super bonne question qui m’a pas mal fait méditer avant de me lancer ^^
    En fait, quand on filme de « vrais instants », on n’est pas non plus dans quelque chose de « vrai » dans le sens où les gens jouent inéluctablement dès lors qu’ils se savent observés (ça n’est pas seulement vrai en présence d’une caméra, notre comportement se modifie dès qu’un tiers entre en scène, cf. Huis Clos). A partir de là, je me suis dit qu’il valait mieux recréer ces instants.
    Quant au « pourquoi » de ces instants là et pas d’autres… j’avoue, je n’ai rien à répondre ^^
    Ça aurait pu être des couples qui s’engueulent, des ivrognes qui pissent… Il y en aura 🙂

  3. Bobby,

    Si c’est ça que tu veux faire en ce moment fais le! Des gens qui critiquent avec ou sans raison il y en aura toujours… C’est vrai aussi que les gens changent souvent de comportement s’ils se sentent observés (par exemple des couples qui s’engueulent , des ivrognes qui pissent qui arretent quand ils se sentent observés…

    Et n’oublie pas que dans le domaine de l’artistique comme dans bcp d’autres domaines, les rélations, copinages, cirrages de pompes comptent parfois plus que la créativité ou autre chose…

  4. Ah oui, le syndrome d' »archivage » est lié à celui de la nostalgie, c’est appréhender et considérer le présent comme un souvenir en devenir. ça fait toujours un refuge quand le réel est décevant. (c’était mieux avannnnt…)
    Et les petits moments de vie des autres nous passionnent bcp en grde partie parce qu’ils ressemblent aux notres!

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