Salo ou les 120 journées de Sodome, de Pier Paolo Pasolini

Par Bobby

Depuis le temps que ça me titillait. J’ai même commencé à suivre un cours à la fac sur Pasolini au 2nd semestre dans l’espoir qu’on nous le projette en cours et qu’on l’étudie, sans succès. Mais là, ça y est. Je l’ai vu. Un film édifiant, qui reste gravé dans l’histoire du cinéma. Et qui a valu la mort de son auteur, assassiné après sa sortie.

Inspiré de l’oeuvre de Sade, Salo ou les 120 journées de Sodome relate l’histoire de quatre bourgeois qui, au temps de l’Italie fasciste, emportent avec eux dans une villa retirée 9 jeunes garçons et 9 jeunes filles, pour les esclavagiser. Le vice et la perversité font loi. Dès le début, on leur explique
qu’ils ne sont plus humains, qu’ils sont destinés au plaisir de leurs maîtres. Commencent alors trois cycles, semblables aux cercles infernaux de Dante, après un prologue qui nous présente les protagonistes et se nomme Antiferno (soit le « vestibule de l’enfer »)

Cercle des Passions

Les éphèbes et les nymphes sont tour à tour violés, maltraités sexuellement, humiliés. Hétérosexualité et homosexualité confondues. Considérés comme des chiens, de la viande.

Cercle de la Merde

Là, déjà, ça se gâte. A mes yeux, ce fut la partie du film la plus insoutenable. Les esclaves sont contraints d’ingérer les excréments des bourgeois, de se baigner dans des tonneaux remplis de merde, etc. Une horreur.

Cercle du Sang

Et pour finir, je vous gâche le suspense mais ce n’est pas l’intérêt du film, les jeunes gens sont torturés, atrocement suppliciés, avant d’être exécutés. Les spectateurs ayant survécu à la vision du Cercle précédent regarderont celui-ci sans broncher, apathiques, alors que c’est peut-être celui dont les images vont le plus facilement s’imprimer dans le cerveau. Régulièrement, il me revient des flashs de ce garçon qui hurle à la mort tandis qu’on lui brûle les organes génitaux.

Alors, me direz-vous, quel est l’intérêt de voir un tel film, une telle abomination ? D’une part, je me dis toujours que « il fallait bien que quelqu’un le fasse ». Besoin de concrétiser, de mettre en image, comme Sade l’avait fait avant Pasolini, des fantasmes monstrueux (domination totale, humiliation, viol, scatophilie, torture, mise à  mort). D’autre part, il y a, plus que dans d’autres films que j’ai pu voir de Pasolini, une certaine esthétique. L’auteur nous entraîne, grâce au décor, grâce aux personnages dominateurs et à leur cohorte, dans un véritable enfer. Il y a aussi le texte, les personnages parlent beaucoup, comme ceux de Sade. Pasolini crache sur la société, les moeurs, la religion. Contre une Italie
rigidifiée et sclérosée. En témoigne les fausses cérémonies organisées par les maîtres, sources de grotesque et d’humiliation. On ne sait plus si on doit rire ou trembler devant ces images.

Et puis, en fond sonore, les bombardements. La ville de Salo*. L’écho de la guerre, du fascisme, de la négation de l’être humain. Ce n’est pas un acte de violence gratuite. Il y a derrière ça une volonté ouverte de destruction des âmes. Comme le dit l’un des maîtres à une jeune fille implorant d’être exécutée « nous allons te détruire avant de te tuer », puis à un garçon « ne comprends tu pas que nous voudrions te tuer mille fois ? ».

Bon, vous allez peut-être trouver mon rapprochement douteux, mais parfois je vais sur des sites gays, et ce que j’y vois n’est pas si éloigné que ce que l’on trouve dans ce film. Toutes ces photos, ces slogans aguicheurs, cet étal de viande fraîche ou avariée, que l’on consomme sans le moindre respect, ça ressemble franchement à l’univers de Salo ou les 120 journées de Sodome.

Je ne suis pas en train de prôner un réactionnisme vis à vis de la sexualité (et je ne parle pas uniquement des gays hein, j’utilisais cet exemple parce qu’il m’est plus familier, mais je pense que tout le monde est dans le même sac : homos, hétéros, hommes, femmes), je ne pense pas non plus qu’il faille diaboliser les fantasmes. Un fantasme, ça peut être chouette de le concrétiser, aussi saugrenu soit-il. Mais bon sang, le sexe, c’est quand même un jeu, non ? C’est dommage que l’ambiance de ces univers là ne soit pas plus amicale, plus fraternelle (évidemment, j’ai conscience que c’est un peu utopique, les fantasmes présentés dans le film étant voués à se satisfaire de la souffrance non désirée de l’autre ; pour le coup, ces
fantasmes là… on peut sans doute les laisser au rang de fantasmes…).

*ville où Mussolini s’est réfugié après le débarquement en Sicile

9 réflexions sur “Salo ou les 120 journées de Sodome, de Pier Paolo Pasolini

  1. Je pense qu’on est typiquement dans le film que je pourrais jamais voir mais bon merci pour ma culture générale, j’ai été lire la fiche de Pasolini sur wikipédia derrière je pourrai briller aux diners… 🙂

  2. Voila un film qui échappe un peu aux canons de la critique traditionnelle. En le voyant, j’avoue ne pas en avoir vraiment compris l’intérêt, une sensation pour moi similaire à la lecture d’un bouquin de Sade, des Contes de la Folie Ordinaire ou des Onze Mille Verges par exemple. Mais le film demeure une expérience inédite, une très violente satire de la dictature et une exposition un peu anarchique de fantasmes et de phobies étroitement entremêlés. je l’ai vu une fois, je ne suis pas certain d’avoir envie de réitérer l’expérience.

  3. J’ai lu à 13 ou 14 ans les 120 journées, toute émoustillée par l’idée que je me faisais de Sade…. et autant j’apprécie certaines oeuvres de cet auteur, autant je reste complètement hermétique à cet étalage de violences et tortures en tous genres. J’ignore si Sade souhaitait faire une critique de la société, et je trouve la remise en contexte telle que tu l’expliques par Pasolini intéressante…

    Mais pas plus qu’il y a 10 ans, et certainement pas avant quelques dizaines d’années je ne relirai le livre ou ne verrai le film. Ta critique excellent m’a presque fait vomir mes chocapic, c’est dire 😮

  4. J’y vais de mon comm aussi. Je n’ai pas vu le film mais j’aurais tendance à avoir les mêmes vues que Chipo.

    Il y a quelques années, j’ai lu La philosophie dans le boudoir de Sade, histoire de voir un peu ce que ça valait. Au début les, « foutez moi, foutez moi! », ça me faisait un peu rigoler parce que ça me paraissait quelque peu grotesque. Puis j’aimais bien les parties discutées car les scènes de sexe me paraissaient globalement laborieuses dans le sens où les descriptions de qui prend qui, ce n’était pas super passionnant surtout que par moment, c’était limite anatomiquement impossible, à moins d’avoir un sexe qui pointe en biais.

    Puis tout à coup, à la fin, sans qu’on le sente arriver, gros déluge de violence. En gros, l’histoire est celle d’une jeune fille initiée au sexe par une femme et deux hommes. Quand la mère de la jeune fille arrive pour récupérer sa progéniture déjà bien pervertie par tous les trous, elle se fait violer par tous, y compris sa fille qui la gode avec plaisir puis elle se fait violer par le jardinier qui a la vérole et les comparses cousent son sexe pour être sûrs qu’elle ne refile pas la vérole à quelqu’un d’autre. Alors je comprends bien les métaphores sociétales présentes dans ce déluge de violence mais arrive un moment où je n’en vois plus l’intérêt, le message ne passe plus.

    Me demande si je vais pas faire un article à ce sujet, un de ses 4.

  5. Je fais peut être mon prof mais Salo est la ville où Musolini s’est réfugié peu après le débarquement de Sicile. Il a fondé en cet endroit la république de Salo.

    J’ai jamais osé voir ce film tellement celà me difficile à regarder. Ta description de ce film me donne toujours pas envie.

Répondre à Le Sushi Annuler la réponse

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *