Episode 14

Chapitre 9


    Ethan était couché sur son lit, somnolent, laissant ses pensées divaguer, quand quelqu’un entra dans sa cellule. Il ne bougea pas, n’ayant pas envie de montrer un tant soit peu
d’intérêt à ses geôliers. Mais quand il réalisa qu’il s’agissait d’Oceany, il se redressa et s’assit sur son lit. Elle était la seule à qui il acceptait de parler, parce qu’elle était de la même
race que lui. Elle vint s’installer à côté de lui et après l’avoir observé un court instant, se mit à parler.
« Ca va ?
– J’ai vu mieux, grommela-t-il.
– Oui, je m’en doute, mais comme ça, vous pourrez mieux comprendre les conditions de vie, ici. Vous avez réfléchi à notre conversation d’hier soir ?
– Oui.
– Et ?
– Rien. Je continue à penser que vous avez tort et que cette société est la plus parfaite que nous ayons connu jusqu’ici.
– Je ne suis pas d’accord, parce que cette société nous vole ce que nous avons de plus précieux : notre liberté.
– Qu’est ce que vous racontez ?
– Vous avez déjà essayé de sortir de la ville ? Non, bien sûr, mais si vous aviez essayé, vous vous seriez rendu compte que c’était impossible : il n’y a aucune sortie. Vous trouvez ça normal, vous
? Cette ville n’est rien de plus qu’une immense prison et tous nos droits sont bafoués, mais tout le monde s’en fout. Tout le monde sauf une poignée de gens que l’on appelle, de façon péjorative,
rebelles. Nous ne sommes pas des anarchistes, Ethan, nous sommes des défenseurs des droits de l’Homme et je suis certaine qu’au fond de vous, vous êtes comme nous.
– Vous n’arriverez pas à me convaincre, vous avez tort et vos arguments ne me paraissent pas valables. De toute façon, je ne vois pas pourquoi on sortirait d’ici, toutes les autres villes ont été
rayées de la cartes et, à part quelques tribus ça et là, tout le monde vit déjà ici.
– Oh, vous êtes têtu ! Mais regardez la réalité en face, bon sang ! Vous êtes totalement prisonniers : vous ne pouvez aller que là où les monorails vous amènent, c’est pour ça qu’ils ont supprimé
les voitures. Et ce n’est pas tout : vous ne pouvez acheter que ce que le pouvoir vous autorise à acheter avec votre ordinateur. Vous ne pouvez pas choisir votre dirigeant, il s’est imposé de
lui-même. Vous n’êtes pas libre de choisir la femme que vous allez épouser, et enfin vous ne pouvez pas dire ce que vous pensez car si vous êtes contre Oxford, vous vous retrouvez hors-la-loi. En
résumé, plus de liberté de circulation, d’opinion et d’expression…avant, on appelait ça de la dictature, aujourd’hui, on dit que c’est une société quasi parfaite, c’est fou ce que les mentalités
évoluent. Forcément, vous, en haut, vous êtes choyé, vous êtes dupé par l’aspect des choses, mais cette société est mal faite, il faut tout changer. Avez-vous déjà discuté avec un esclave.
– Non, et je ne vois pas pourquoi je le ferai. Ce sont des ennemis de la nation, c’est leur faute si on en est arrivé là.
– Non, c’est faux. J’aimerais que vous parliez avec une esclave qui avait 3 ans quand la guerre a commencé : pouvez-vous honnêtement l’accuser d’être responsable de ce qu’il s’est passé ? Je ne
crois pas.
– Je n’ai pas envie de parler avec elle.
– Faites-le pour moi, Ethan, je vous le demande comme une faveur personnelle. S’il vous plaît. »
Il la regarda un instant et n’eut pas le courage de le lui refuser : ça semblait lui tenir tellement à cœur. Et puis, s’il se montrait coopératif, il pourrait peut-être sortir enfin de cette
horrible cellule et retrouver son appartement si douillet, retrouver sa mère… Il serait même content de revoir Neve. Il soupira et accepta de voir l’esclave en question. Oceany sourit et sortit de
la pièce, pour laisser la place à une jeune noire qui semblait un peu perdue. Elle était très jolie, il devait l’admettre, mais la couleur de sa peau lui posait un problème. Cependant, il avait dit
à Oceany qu’il lui parlerait et il voulait tenir parole. La Noire resta debout pendant un moment, jusqu’à ce qu’il lui proposa de s’asseoir, ce qu’elle fit en silence, puis elle demeura immobile,
n’osant parler et fuyant son regard. On aurait dit un animal apeuré.
« Bon, vous voulez me dire quelque chose ?  »demanda-t-il.
Il n’eut aucune réponse et sentit l’impatience le gagner : elle se moquait de lui.
« Je m’appelle Ethan, et vous ?
– Kirstie.
– Et vous êtes une esclave, c’est ça ?
– Oui.
– Et bien, vos n’êtes pas très bavarde.
– On m’a appris à ne pas parler inutilement, c’est tout.
– Vous êtes originaire d’où ?
– Birmingham en Angleterre.
– Ah. Vos parents étaient des militaires, ils se sont battus contre le gouvernement américain, c’est ça ?
– Non, pas du tout : ils sont morts avant même que les combats entre l’Europe et votre sale pays ne commence, ils ont attrapé votre virus et sont morts, c’est tout. »
Sa voix était particulièrement haineuse et elle le regardait enfin droit dans les yeux. Il aurait préféré qu’elle continua à fixer le sol, ça ne l’aurait pas mis autant mal à l’aise.
« C’est une erreur regrettable, mais nous n’y sommes pour rien, et…
– Parce que vous croyez vraiment que ma famille y était pour quelque chose dans votre guerre ? J’avais deux sœurs et trois frères, ils sont tous morts, il ne reste que moi et des fois, j’aimerais
être morte, moi aussi. Je hais votre pays, sa soi-disant justice et ses merveilles technologiques. Je vous hais vous et tous vos congénères, vous n’êtes que des êtres méprisants et mauvais. Je ne
trouve pas ça juste que vous ayez gagné et que vous ayez fait de nous des esclaves. Mais vous vous en foutez, vous, vous êtes du bon côté de la barrière, vous n’avez même pas idée de ce que j’ai pu
vivre.
– Expliquez-moi.
– Je…j’ai été maltraitée, battue, exploitée, considérée comme un simple objet ! Oxford se foutait bien de ce que je pouvais ressentir, je ne valais pas mieux qu’un robot pour lui Quant à son fils…
»
Des larmes jaillirent de ses yeux et elle ne put finir sa phrase, visiblement bouleversée, ce qui le mit vraiment mal à l’aise. Il ne savait pas ce qu’il devait faire, s’il devait parler ou se
taire, l’encourager à continuer pour qu’elle puisse se vider ou, au contraire, la faire arrêter, s’il devait la prendre dans ses bras pour la consoler ou garder ses distances. Finalement, il
s’approcha d’elle et posa une main réconfortante sur son épaule, mais elle se leva précipitamment et s’éloigna de lui, le visage défiguré par la haine.
« Ne me touchez pas !
– Mais je ne vous veux aucun mal.
– C’est ce qu’il me disait toujours, mais il mentait.
– Qui, il ?
– Ca n’a aucune importance.
– Pourquoi vous avez parlé de Bill Oxford ?
– Je travaillais chez lui.
– C’est lui qui vous faisait du mal ?
– Ca n’a aucune importance, répéta-t-elle.
– Si, ça en a, je vous assure : ça vous fera du bien de parler.
– Qu’est ce que vous me voulez ?
– Mais rien !
– Arrêtez de mentir : je ne suis qu’une petite esclave, vous vous foutez totalement de ce que je peux ressentir.
– C’est faux, je ne suis pas sans cœur, Kirstie. Parlez-moi, vous vous sentirez mieux après. Qui vous faisait du mal ?
– Mark.
– Mark Oxford ?
– Oui, bien sûr.
– Qu’est ce qu’il vous faisait ?
– Il…enfin…il »
Elle baissa les yeux et il sentit sa gêne ; était-il possible que Mark ait abusé d’elle ? Ca lui semblait impossible : ce jeune homme paraissait si doux, si gentil…
« Dites-le-moi, Kirstie, je n’en parlerai à personne.
– Il me faisait faire…des choses… qui ne sont pas correctes.
– Oh Seigneur, c’est pas vrai !
– Je vous jure que si. Hier soir, encore, quand sa fiancée est partie, il semblait assez en colère alors il m’a forcé à…vous savez.
– Quel salopard !  »
Il était véritablement furieux contre Mark. Il n’avait jamais été choqué par l’esclavagisme jusqu’à présent, mais cet abus l’écœurait profondément. Il n’avait qu’une envie, c’était d’inculquer à
Mark une leçon de savoir-vivre , de lui apprendre le respect de son prochain…mais qui était-il pour faire ça ? Quelques instants auparavant, il haïssait tout les êtres humains qui n’étaient pas de
la même couleur que lui et voilà qu’il voulait défendre une jeune noire. Sans doute parce qu’il s’était rendu compte que l’esclavagisme n’était pas juste et punissait des innocents, comme Kirstie
et comme la Chinoise qui vivait ici. Elle était jeune, elle aussi et devait être une enfant quand la guerre avait commencé. Mais même si cette société n’était pas juste à ce niveau-là, il restait
convaincu que c ‘était la meilleure depuis le début de l’humanité. Il accepterait peut-être de lutter contre l’esclavagisme, mais ça n’irait pas plus loin.
Kirstie s’essuya les joues du revers de la main et sembla se calmer un peu. Il comprenait sa gêne, ce n’était pas évident de parler de ça à quelqu’un, mais elle devait mettre Oceany au courant, car
si elle fréquentait trop ce pervers, elle risquerait peut-être d’avoir quelques problèmes.
« Vous devez en parler à Oceany.
– Non, pas question.
– Pourquoi ?
– Parce que c’est humiliant.
– Mais vous lui devez bien ça : elle doit se fiancer avec Mark, il faut la prévenir !
– Elle ne risque rien : s’il m’a…enfin, s’il s’en est pris à moi hier, c’est parce qu’elle n’a pas voulu. C’est sa faute.
– Vous exagérez. Elle vous a sorti de cet enfer.
– Pour m’envoyer directement dans un autre. Vous avez vu où on est, c’est horrible, ici ! Au moins, là-haut, j’étais bien logée.
– Et violée régulièrement, c’est sûr que c’est beaucoup mieux qu’ici. Vous devez une fière chandelle à Oceany et le mieux c’est de lui parler des mauvaises habitudes de son futur fiancé.
Ecoutez-moi bien : il y a encore une heure, je pensais que tous ces gens étaient des fous anarchistes se battant pour du vent, mais grâce, ou à cause de vous, je me suis rendu compte qu’ils avaient
raison. On ne respecte pas vos droits, vous devez vous battre pour les reconquérir. Que dirait votre mère si elle vous voyait accepter votre condition aussi facilement ? Je crois qu’elle aurait
honte. Elle, à votre place, elle se serait battue et vous devez en faire autant.
– Vous ne connaissez pas ma mère… Moi non plus, d’ailleurs, j’étais trop jeune quand elle est morte. Je peux partir, maintenant ?
– Faites ce qu’il vous plaît, je suis pas votre maître. »
Elle ressortit immédiatement, visiblement soulagé d’en avoir fini avec cette pénible entrevue. Elle ne dirait rien à Oceany, ça paraissait évident et il allait devoir s’en charger. Mais il ne
savait pas vraiment comment présenter les choses, d’autant plus qu’il avait un peu de mal à y croire. Mark paraissait si doux, mais il ne fallait jamais se fier aux apparences. Il allait se
recoucher quand il s’aperçut que la porte de sa cellule était entrouverte. Il en avait assez de cette chambre, il devait sortir. Il quitta donc sa geôle et découvrit le hangar dans lequel il était
enfermé, et fut fasciné par l’énorme hélice qui tournait, produisant de véritables éclairs. C’était donc ça le bruit infernal qui ne cessait jamais.
« Ca impressionne toujours, au début. »
Il se retourna pour faire face à Oceany qui se tenait à quelques mètres de lui, debout, les bras croisés. Apparemment, ça ne la dérangeait pas vraiment de le voir hors de sa cellule. Elle s’avança
vers lui et se posa juste à sa droite, fixant à son tour l’immense rotor.
« Vous…heu…ça ne vous fait rien que je sois sorti de ma cellule ?
– Non, parce que je sais que vous n’allez pas vous échapper.
– Vous savez ?
– Je sais ce que ça fait de parler avec un esclave, ça fait toujours réfléchir…c’est la première leçon que j’ai apprise des exclus.
– Pourquoi les avez-vous rejoint ?
– Au début, j’étais comme vous, aveuglée par tout le luxe qu’on étale, là-haut. Un soir, je me suis perdue dans le coin et je suis tombée sur les rebelles. Ils ont d’abord voulu voler mon passe,
mais je leur ai donné du fil à retordre ; Quand on naît et grandit en période de guerre, on apprend deux, trois trucs utiles pour se battre. J’ai impressionné Juan, qui est leur chef et il m’a
convaincue de faire partie des leurs, en me parlant de leurs conditions de vie, et tout le reste. Au début, je n’étais pas convaincue, ce n’était que du vent, tous ces beaux discours, et puis j’ai
parlé avec Mai-Li, et là…j’ai compris qu’on ne pouvait pas continuer comme ça.
– Bon, écoutez, Oceany, je veux bien vous aider à lutter pour nos droits, mais je continue à dire qu’il ne faut pas détruire cette société.
– Je ne m’en fais pas pour ça : d’ici une semaine, vous serez totalement rallié à notre cause. Mais je suis ravie de savoir que vous avez enfin ouvert les yeux.
– Où sont tous les autres ?
– A la chasse au passes, pour les uns, les autres sont allés chercher quelques trucs chez les flics et ceux qui restent se reposent, là-bas. Bienvenu à bord, Ethan, je vais vous expliquer comment
ça fonctionne, ici. »

12 réflexions sur “Episode 14

  1. 400.000? pas mal!! sauf que je sais pas s’il faut faire un max de points, ou le minimum… j’oscille entre 380.000 et 28.000 (en ayant fini..)! mais il faut dire que j’ai le temps, en ce moment!

  2. Je viens de lire, l’idée est toujours bonne, mais comme tu dis dans une réponse, Ethan retourne sa veste un peu trop vite. Du coup, ça manquerait de subtilité, ça fait téléphoner. Il faudrait bien quelque chose comme un questionnement intellectuel plus profond, ou une réaction plus nuancée, pour que ça tienne mieux la route. Enfin c’est juste un avis comme ça…

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