Episode 4

Chapitre 2
 
            Le dernier soir avant les fiançailles, derniers moments de liberté : quelle
charmante idée ! Il soupira et regarda Neve qui était en train d’essayer une drôle de robe mauve qu’elle avait choisie pour la soirée. On aurait dit une grosse meringue colorée, mais il
n’osa pas lui dire sinon elle allait paniquer et devenir infernale. Il simula un bâillement pour indiquer à la jeune femme qu’il avait envie de se coucher, mais elle ne se s’en aperçut pas, trop
occupée à s’admirer dans la glace.
« Neve, il est presque dix heures, j’aimerais aller me coucher. Tu ne voudrais pas rentrer chez toi ?
– Je ne peux pas rester dormir ici ?
– Non, y a pas de place.
– Bon, d’accord, mais tu me raccompagnes, alors. J’aime pas me balader seule dans les rues la nuit. »
Il ne chercha pas à la convaincre qu’elle n’avait rien à craindre, car il avait hâte de se débarrasser d’elle : sa patience avait des limites.
Elle se rhabilla rapidement et il la raccompagna chez elle. En guise de remerciements, elle le gratifia d’un signe de la main et lui jeta un rapide au revoir avant de rentrer. Dans un monde
normal, ils se seraient embrassés tendrement et chuchoté des mots doux pendant un bon bout de temps, mais ça ne marchait pas comme ça avec Neve. Ils ne s’aimaient pas, à quoi bon faire
semblant ? Durant leur mariage, ils ne s’embrasseraient pas et ne feraient l’amour que pour avoir une petite fille à marier à un pauvre gosse qui était actuellement plus occupé à s’amuser
qu’à trouver l’âme sœur.
Il se remit en route et erra sans but précis, réfléchissant à ce mariage et à son avenir…ce n’était guère réjouissant. S’il n’y avait pas eu sa mère,
il n’aurait pas choisi cette femme là. Il aurait même probablement pris une femme d’un statut social inférieur au sien et serait parti vivre chez elle, là où les apparences ne comptent pas plus
que tout.
Il se rendit soudain compte qu’il était retourné dans le même parc que l’autre jour, là où il s’était fait agresser. Au fond de lui, il savait qu’il
avait fait exprès : il voulait retrouver cette étrange femme et parler avec elle. De quoi ? De tout, passer sa dernière nuit de liberté à parler à une inconnue…l’idée le transportait
littéralement, parce que ça lui donnait l’impression qu’il bravait un peu les traditions de l’élite, qu’il se rebellait, qu’il…
Quelque chose tomba de l’arbre derrière lui et il se retourna prestement : la jeune femme était de retour.
« Tiens, tiens, Ethan Wadeker ! Tu cherches vraiment les ennuis.
– Vous êtes seule ?
– Où est la différence ?
– J’aimerais…hum…discuter avec vous.
– Je ne vois pas vraiment ce que nous aurions à nous dire.
– Et bien, déjà, j’aimerais savoir pourquoi vous êtes ici : je suis sûr que vous n’êtes pas une exclue.
– Jamais entendu un truc aussi ridicule de ma vie. File-moi ton passe.
– Qui êtes-vous ? Comment me connaissez-vous ?
– Je lis les journaux, crétin. Donne-moi ton passe avant que je m’énerve.
– Les exclus ne reçoivent pas le journal, j’ai vérifié. »
Elle sembla perdre son agressivité un instant…touché ! Mais elle retrouva rapidement toute son énergie et lui sauta dessus pour lui voler son
précieux passe. Il ne se laissa pas faire, essayant de se défendre du mieux qu’il pouvait, mais elle se défendait comme une tigresse et l’envoya rapidement au sol. Elle se posa ensuite à
califourchon sur lui et put enfin retirer l’objet tant convoité sur lequel elle fit jouer la lumière pendant un instant.
« Ecoute, Wadeker, je te le répète une dernière fois : ne traîne pas par ici, ça craint. En tout cas, merci pour le passe, j’en ferai bon
usage. »
Elle s’apprêtait à repartir mais il saisit sa combinaison et l’attira vers lui : elle n’allait pas s’en tirer aussi facilement. Elle poussa un
petit cri et leur regard se rencontrèrent Elle semblait furieuse.
« Mais qu’est ce qui te prend ? Lâche-moi !
– Rendez-moi d’abord mon passe.
– Si tu ne me lâche pas immédiatement, tu risques de le regretter : ce serait dommage de célébrer tes fiançailles avec un œil au beurre noir,
non ?
– Dites-moi d’abord qui vous êtes.
– Peu importe qui je suis ! T’es vraiment pénible comme mec. Bon, puisque tu ne veux pas me laisser tranquille… »
Elle lui donna un formidable coup de poing dans l’estomac, ce qui lui fit lâcher prise et pendant un instant, sa vue fut obstruée par un tas de
petits points noirs : elle n’y était pas allée de main morte. Elle se releva et le regarda se tordre, les bras autour du ventre en gémissant, puis repartit sans rien ajouter. Il la suivit du
regard, puis quand elle eut disparu, il se releva lentement et se mit à marcher en titubant, jusqu’à une cabine téléphonique, où il composa le numéro de sa mère.
« Lauren Wadeker.
– Maman, c’est Ethan, j’ai…hum…un petit problème.
– Qu’est ce qu’il se passe ?
– Et bien, je suis coincé au parc Washington et on vient de me voler mon passe.
– Quoi ? Mais qu’est ce que tu fais dans ce coin là, à cette heure-ci de la nuit ?
– Je me baladais.
– Ma parole, tu as perdu la tête. Bon, ne bouge pas, je vais appeler une escorte pour te ramener chez toi, mais tu me dois des
explications.
– Oui, maman. »
Elle raccrocha, visiblement énervée, ce qui était compréhensible : les gens de l’élite n’étaient pas censés se promener dans ce genre d’endroit.
Si ça se savait, sa réputation en prendrait un sacré coup. Il attendit patiemment et au bout de cinq minutes environ, un patrouilleur de la police arriva à sa hauteur ; il s’agissait d’un
petit robot juché sur une moto à aéropropulseur qui permettait de voyager rapidement partout dans la ville.
« Vous-ê-tes-E-than-Wa-de-ker ? demanda le robot de sa voix métallique.
– Oui, c’est moi.
– Veuil-lez-en-trer-vo-tre-car-te-d’i-den-ti-té-dans-la-fen-te. »
Ethan soupira et fouilla dans sa poche pour trouver un bout de plastique que l’on appelait carte d’identité et obéit aux instructions de la
machine.
« I-den-ti-té-con-fir-mée-veuil-lez-mon-ter-sur-la-pla-ce-ré-ser-vée-aux-pas-sa-gers »
Il s’assit derrière le robot et attacha sa ceinture. Le policier vérifia que son passager était bien installé puis appuya sur un bouton :
l’engin décolla du sol et monta à une vitesse vertigineuse vers les sommets de la ville, zigzaguant entre les différentes lignes du monorail avec une habileté remarquable, puis stoppa devant le
balcon d’Ethan.
« Vous-ê-tes-ar-ri-vé-à-des-ti-na-tion-la-po-li-ce-de-Tech-no-po-lis-vous-sou-hai-te-une-bon-ne-soi-rée-
et-vous-rap-pel-le-q’il-est-dan-ge-reux-de-cir-cu-ler-dans-les-bas-é-ta-ge-la-nuit-
veuil-lez-des-cen-dre-du-vé-hi-cu-le-mer-ci. »
Ethan obéit sans discuter et regarda la petite machine filer vers le pilier nord. Cette soirée avait été probablement la pire de sa vie et, à bien y
réfléchir, il aurait dû s’en douter. Ce n’était pas parce qu’il s’appelait Wadeker et qu’il faisait partie de l’élite que tous étaient à ses pieds, cette fille lui avait rappelé de façon assez
brutale. Celle-là, il lui en voulait : il voulait juste discuter avec elle et cette garce, pour le remercier de sa sollicitude, lui avait dérobé son passe et détruit son estomac qui le
faisait encore souffrir.
Il se rendit dans sa chambre et s’écroula sur son lit où il s’endormit presque instantanément, malgré la rage dont il était la proie.
—–       
            Elle regarda autour d’elle et, après s’être assuré qu’il n’y avait personne,
poussa la porte qui donnait sur un petit hangar. A l’intérieur, une immense hélice tournait sans cesse, produisant de l’électricité pour toute la ville et occasionnant tout un tas d’étincelles
bleues inoffensives mais impressionnantes. C’était dans cette pièce qu’ils avaient décidé de s’installer, parce que personne ne viendrait les y chercher et quand ils auraient tout le matériel
dont ils avaient besoin, ils feraient exploser l’hélice.
Elle retira son masque et alla rejoindre Juan, qui était le chef des rebelles avant son arrivée. D’origine latine, il avait eu la chance d’être
naturalisé dès sa naissance, sinon, il aurait fait partie des esclaves à l’heure actuelle. Cependant, ses cheveux bruns, son teint hâlé et ses yeux noirs lui causaient pas mal de problème :
à cause de l’esclavagisme, la plupart des américains pure souche avaient développé des sentiments xénophobes très forts et tous les exclus qui semblaient être étrangers étaient considérés comme
des esclaves en fuite. D’ailleurs, dans leur groupe, ils avaient aidé un couple de chinois à s’évader et les cachaient dans leur hangar.
Maria, la sœur de Juan vint les rejoindre.
« Qu’est ce que tu as ? Tu es toute débraillée.
– Oh, ce n’est rien. Regardez plutôt ce que je vous ramène, dit-elle fièrement en exhibant le passe volé. Ce Wadeker est un vrai crétin : il
voulait discuter. Je lui ai pris son passe vite fait et je l’ai laissé sur le bitume.
– Il t’a reconnue ? s’enquit Juan.
– Il se doute que je ne suis pas une exclue, mais je ne crois pas qu’il sache qui je suis précisément. Tu sais, ce n’est pas parce qu’on fait partie
de l’élite qu’on se fréquente.
– Tu es pourtant un des meilleurs partis de la ville, remarqua Maria, il a peut-être vu ta photo dans les journaux.
– C’est vrai qu’en étant la fille d’Hank Antelwort et la belle-fille de Nicholas Geller, on passe difficilement inaperçue. Tu devrais faire
attention, Oceany : s’il te reconnaît, il risque de te dénoncer et tout ce que nous aurons fait jusqu’ici n’aura servi à rien.
– Ne t’en fais pas, Juan, il ne me reconnaîtra pas et si jamais il me dénonçait, je nierais, c’est tout. Réfléchis : avec mon nom, je ne risque
absolument rien.
– Ca nous fait deux passes pour les sommets avec le tien, on va pas aller loin avec ça, soupira Maria.
– Ne désespérons pas, on va y arriver. De toute façon, on n’est pas encore prêts, il ne faut pas se précipiter. Il va falloir que je rentre, on
pourrait s’apercevoir de mon absence.
– Je te ramène, proposa Juan.
– OK . Demain soir, je vais essayer de chiper quelques passes, durant les fiançailles de ce cher Wadeker. Avec de la chance, on pourra réaliser
notre plan plutôt que prévu. Et restez sur vos gardes. »
Elle fit un signe de la main pour saluer ses complices, puis suivit Juan jusqu’à un recoin du hangar où ils avaient planqué les trois motos à
aéropropulseurs qu’ils avaient volés à la police. Ils étaient en train de s’installer quand Mai-Li, la Chinoise qu’ils avaient sauvée vint les rejoindre. Mai et Oceany étaient devenues très
proches au fil des mois et se comportaient presque comme deux sœurs, toujours inquiètes l’une pour l’autre. Faire partie des rebelles n’était pas sans danger.
« Maria m’a dit que tu t’étais battue, ça va ?
– Ouais, je l’ai mis K.O dès le premier round. Tu sais, les membres de l’élite qui font du karaté, ça court pas les rues, et puis, j’ai gagné un
passe pour les sommets ! Je vais essayer d’en voler quatre autres, demain, à la réception, comme ça, on pourra envoyer notre commando spécial.
– Fais attention à toi, d’accord.
– T’en fais pas, tu risques plus ici que moi là-haut. Fais attention : il ne faut surtout pas que l’on te voie.
– Ne t’inquiète pas pour moi, je suis habituée à me terrer. »
Elles s’étreignirent affectueusement et se quittèrent avec regret quand Juan mit le moteur en route. Oceany salua son amie de la main, puis
s’accrocha au torse puissant de son chauffeur ; elle était inquiète pour Mai-Li, elle n’avait pas une très bonne mine : l’air ambiant était chargé d’électricité, ce ne devait pas être
très bon pour leur santé, mais ils n’avaient pas le droit de sortir, car ils risquaient d’être rattrapés par la police qui les recherchait depuis quatre mois.
La moto s’éleva dans les airs et fonça vers le sommet ; grâce au passe d’Oceany et celui qu’elle avait dérobé à Wadeker, ils pouvaient passer
n’importe où sans déclencher les alarmes…Bientôt, ils en auraient assez pour envoyer cinq d’entre eux au sommet pour réaliser le plan qu’ils avaient mis sur pieds presque un an plus tôt, quand
ils avaient découvert que Technopolis n’était pas le paradis qu’on leur avait promis.
Juan se posa à côté du balcon de la jeune femme et mit la moto en mode « lévitation automatique » ; elle descendit du véhicule et
vérifia qu’il n’y avait personne aux alentours.
« Merci de m’avoir raccompagnée.
– De rien : j’aime bien me balader en moto et je déteste te savoir seule.
– Je ne risque rien, tu le sais bien. Dans cette ville, ce sont nous, les bandits.
– Ouais, mais on n’est pas les seuls : on a fait des émules ! Chacun veut son passe pour les sommets, pour voir enfin le soleil briller
dans le ciel.
– Dire que je croyais que le soleil brillait pour tout le monde pareil. Dans cette foutue ville, seuls les privilégiés peuvent en profiter. Cette
société est pire que l’ancienne, je crois.
– Moi, j ‘en suis sûr. Bonne nuit, Oceany.
– Bonne nuit, et fais attention en rentrant : ne casse pas la moto en faisant l’idiot. »
Il sourit et lui adressa un coup d’œil complice avant de remettre les gaz et de filer. Elle observa un instant le discret sillon que laissa
l’appareil derrière lui, gardant en mémoire les quelques instants passés en compagnie de son complice. Il ne la laissait pas indifférente et elle savait ce sentiment réciproque mais il tait
inutile d’espérer quoi que ce soit. Outre le fait qu’un amour entre un exclu et un membre de l’élite était très difficile, voire impossible, il fallait se concentrer sur l’essentiel. La lutte
contre le pouvoir n’était guère propice aux amourettes.
Elle soupira et rentra dans sa chambre, luxueusement décorée au milieu de laquelle trônait un immense lit à baldaquin. Pour créer les appartements de
l’élite, les architectes s’étaient inspirés du Château de Versailles et la rumeur prétendait même qu’il existait des passages secrets. Mais elle en doutait sérieusement : quel intérêt de
pouvoir aller d’un appartement à un autre ? Aucun. Elle retira sa combinaison qu’elle rangea dans son coffre fort et enfila sa nuisette en soie dorée ; tout respirait le luxe, dans
cette pièce, jusqu’à ses sous-vêtements : on affichait sa supériorité jusqu’au bout, ça en devenait ridicule. Elle haïssait cette ville et le système qu’elle imposait à ses habitants, même
si elle était du bon côté des choses. Elle avait eu beau se voiler la face durant les premières années, aujourd’hui, elle ne pouvait plus fermer les yeux : cette société était totalement
inégalitaire et ils étaient tous prisonniers de Bill Oxford et de ses collaborateurs.
Elle s’allongea sur le dos et observa un instant le voile tendu au-dessus de son lit qui bougeait légèrement, mu par une petite brise provoquée par
les immenses hélices du rez-de-chaussée. Juan, Maria, Mai et son compagnon Myo…ils devaient tous vivre, ou plutôt survivre, dans des conditions ignobles pour permettre à l’élite d’avoir un cadre
de vie agréable .Pourraient-ils changer tout ça ? Elle n’en était pas sûre, mais elle voulait essayer, quitte à en mourir. De toute façon, sa vie n’avait aucune valeur à ses yeux. Si elle ne
se battait pas avec les rebelles, elle n’était qu’un pauvre pantin articulé par la poignée de dirigeants, ce n’était pas une vie. Son père avait été un héros, elle devait se prouver qu’elle
n’était pas une lâche comme tous ces élitaires dont la volonté avait été étouffée par tout ce faste, ces réceptions qui ne rimaient à rien et toutes ces constructions pharaoniques…mais bientôt,
les Anges qui maintenaient la bulle de verre au-dessus de leur tête deviendraient les Anges de la Justice et Oxford payerait pour tout le mal qu’il avait fait, elle se l’était juré.

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8 réflexions sur “Episode 4

  1. j’avoue avoir hate de lire la suite… mais pourquoi tant de temps entre chaque sortie? un jour sur deux, ce serait mieux, non? ou tout les jours!!
    oui, tout les jours un chapitre!!!!!

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