Wesh wesh couzin !

L’autre jour, je lisais dans Elle un article sur un bouquin qui vient de sortir, un lexique de la cité avec un entretien avec les auteurs et une linguiste. Je vous résume en substance : le langage de la cité est un mélange de verlan, d’apports d’autres langues, un langage qui se réinvente chaque jour. Les personnes qui le parlent connaissent très bien le français aussi, c’est juste qu’ils veulent avoir leur langue et leurs codes à eux pour que les autres ne comprennent pas. Et ce langage enrichit la langue française.

Bon, voilà un résumé très succinct de l’article qu’il vaudrait mieux lire pour comprendre, ça ira plus vite. Je lis ça et je réfléchis. Si je regarde la langue française actuelle, celle estampillée « lu dans le Petit Larousse », il est vrai que des milliers de mots vient d’un langage argotique et j’en utilise chaque jour. Oui, je kiffe et ça déchire, maintenant, c’est entré dans les mœurs, c’est hype. Même si dans les cités, c’est complètement dépassé. Le phénomène est, en gros, le suivant : ces personnes inventent leur langage, rapidement
popularisé et repris à grande échelle. Du coup, leurs codes n’en sont plus et ils en réinventent encore et encore. De ce point de vue là, la richesse existe, c’est indéniable. Mais j’ai parfois l’impression que le langage devient une denrée jetable. L’expression à la mode chez moi, genre petite bourgeoise de la petite couronne parisienne est largement dépassé dans la cité, il sera très prisé par les grands bourgeois qui veulent faire djeuns dans peu de temps et on se foutra d’eux car c’est has been. En attendant, j’aurai repris des nouvelles expressions dépassées dans leurs cités d’origines. Je ne cherche pas forcément à reprendre des expressions de cité pour faire genre que je suis hypra branchée parce que, techniquement, je m’en fous un peu. Moi, ce que j’aime, c’est avoir mes propres gimmicks. Mais forcément, je me nourris de ce que j’entends.

Je ne fréquente pas des gens des cités. Non que je les fuis, c’est juste comme ça. Nous ne faisons pas partie du même univers, je ne les rejette pas mais chercher leur compagnie juste pour faire genre « moi, je suis pas discriminante, j’ai même des amis dans le 9-3 », bof. Mes relations se font comme ça. Donc forcément, quand j’entends des jeunes dans le métro parler entre eux, j’ai du mal à tout saisir. Ca m’apprendra à écouter les conversations qui ne me regardent pas, tiens ! Par contre, les médias les reprennent à outrance. Le rap les véhicule aussi, voici comment ça arrive dans mes petites oreilles et que ça reste. Aujourd’hui, c’est très chébran (ça, c’est ringard) de kiffer, tout le monde kiffe. Si ce mot ne finit pas par tomber en désuétude rapidement (ce qui peut arriver), il sera sans doute dans notre Petit Larousse prochainement.

Le français est une langue vivante qui se nourrit en permanence des gens qui le parlent. Il y a différents français, à la base : le français métropolitain, le belge, le québécois, celui d’Afrique, du Maghreb, des îles. Déjà, ces langues là évoluent forcément différemment selon les différentes influences qu’elles subissent. Prenons le québécois par exemple, cas que je connais mieux que les autres. Le français québécois est le résultat d’un mélange entre vieux français, anglais et américain francisé. Les Québécois traduisent littéralement des mots anglais, conduisant un char plutôt qu’une voiture, allant au blackouse pour les toilettes (de l’anglais black house). Les Québécois s’arrêtent à l’arrêt plutôt qu’au stop, vont au dépanneur quand nous, on va dans une épicerie arabe… Evidemment, en France, nous avons des influences dues aux différentes immigrations, africaine et maghrébines avec également des emprunts au tzigane. Par
exemple, j’ai appris que les mots en « ave » venaient du tzigane. Non pas les betteraves mais grayave, par exemple (ça veut dire manger).

C’est vrai que des fois, je grimace quand j’entends certains mots que je trouve phonétiquement laids. Cependant, les mots français du dico ne sont pas toujours très beaux phonétiquement parlant. Cucurbitacée, c’est pas le plus beau mot de notre langue, par exemple. Désolée, c’est le premier mot qui m’est venu à l’esprit. Et que dire du langage SMS qui me massacre les yeux ? Je trouve ça laid au possible cette façon d’écrire, peu compréhensible. Mais n’est-ce pas un peu trop réac de dire non à toute forme d’évolution linguistique uniquement parce qu’on ne la comprend pas ? Je ne suis pas favorable au langage SMS dans la mesure où je crains toujours qu’il nuise à l’apprentissage du bon orthographe, vous savez comme je suis tatillonne sur le sujet. Mais pour l’heure, on n’a pas encore suffisamment de recul sur le sujet pour dire que, oui, le SMS est en train de produire une génération d’illettrés. Je bosse avec des ados
amateurs de SMS. Quand ils l’abandonnent pour écrire correctement, ils ont un français tout à fait correct.

Bref, il faut arrêter de stigmatiser le langage « cité », puisque c’est ainsi qu’on l’appelle en l’accusant de dénaturer le français et d’être le produit d’illettrés incapables de parler correctement notre langue et qui se cachent derrière ces expressions pour masquer un vocabulaire pauvre. Il faut se mettre en tête que le français est une langue vivante qui ne peut qu’évoluer. Qui doit évoluer. Nous n’arrêtons pas de nous vanter de notre multiculturalisme (mouais, allez au Canada et on reparle de notre multiculturalisme) alors pourquoi en rejeter ces formes linguistiques ? Nous ne sommes pas tous obligés de parler « cité ». Je crois le français suffisamment riches pour que nous puissions choisir comment nous voulons le parler dans des sphères privées. Et M. Larousse, ça lui permet chaque année de faire la promo de sa nouvelle édition avec « plein de nouveaux mots dedans ! ».

Pour les joueurs, j’ai écrit cet article en version SMS là

8 réflexions sur “Wesh wesh couzin !

  1. « choisir comment nous voulons le parler »! Nina, je te savais rêveuse et idéaliste, mais crois-tu vraiment qu’on « choisit » comment on parle dans son milieu??? Le plus gênant pour moi, c’est quand la pub s’en mèle et rédige elle aussi ses slogans en sms. Je suis aussi un vieux con (je ne suis même plus trentenaire, mais pas de beaucoup!), mais oui j’ai peur pour notre orthographe et notre belle langue. Entre une langue qui doit savoir évoluer (et qui a toujours évolué) et le massacre auquel on assiste, il doit bien y avoir une petite marge, non?
    PS: l’article est parfait. La version sms est effectivement la meilleure des pub Aspro.

  2. RHHAAAA bobo la tête. Je ne sais pas si quelqu’un a réussi à aller au delà de la troisième ligne de ton article en SMS, mais c’est assez perturbant pour mon petit cerveau normé et bien élevé dans le bienveillant respect de nos règles orthographiques.
    Je suis comme toi, je suis assez tatillonne sur le sujet, j’écris mes textos en bon vieux français, je cours vers mon ami Robert dès que j’ai un doute si inaccessible ça prend deux n ou pas, et même que je mets de l’indicatif après « après que », même si on est que 247 à le faire sur terre. (sisi, « après qu’il était venu », c’est moche, mais c’est corrreeeeect). Bref, notre langue française, je l’aime je l’adoooore, c’est mon amour mon trésoooor (de la langue française, ahahah), et j’avoue que à chaque fois que je croise kkun ki coz com sa, ke j’orai bezouin d’1 dékodeur pour tou saizir, bah ça me fait bobo de la voir écorchée comme ça. Mais, il faut penser que au moyen age ou au XVIème siècle,il n’y avait carrément pas, ou presque pas d’orthographe, chrétien de troyes, rabelais et dubellay écrivait comme des kékés (de notre point de vue à nous, bien sûr), pouvait bien écrire un mot de deux façons différentes dans la même phrase, que ça les génait pas pour autant.
    Et ça ne les a pas empéché d’écrire des livres que l’on lit toujours aujourd’hui!
    Après on pourrait objecter que justement, la langue était en pleine expansion et au début d’une grosse remise en cause/évolution (cf « défense et illustration de la langue française  » justement, du même du Bellay) et que le fait que l’orthographe soit normé peut entrer dans une amélioration de la langue, mais bon, après, c’est un point de vue.
    J’ai beau un peu avoir l’air d’une vieille institutrice à chignon gris, m’en fous d’abord: l’aurtograf, ça kiffe la vibe.

  3. Autant je suis pour l’évolution des langues, mais franchement ça devient de plus en plus n’importe quoi.
    Quand on en vient à ne plus comprendre les autres alors qu’ils disent parler la même langue que nous, c’est qu’il y a un problème profond dans le tissu social. Je ne dis pas qu’on doit tous parler d’une manière ampoulée et précieuse (on risque vite de devenir ridicule), ni comme des académiciens (quoiqu’il y en a bien qui osent parler de « trialogue ») mais il faut être compris, par tous et tout le monde. Inventer ses propres codes, sa propre langue, c’est AVANT TOUT une manière de se marginaliser.
    Le langage est la première chose qui permet à un individu de se reconnaître… et enfin de se démarquer. Mais pas par un rejet de la langue « courante » mais par une utilisation qui nous est propre et qu’on s’est approprié. C’est ça être absolument moderne !
    Quand je prends le métro, et que je m’aperçois que je ne comprends rien à ce que disent mes voisins, je me sens mal à l’aise. Quand mes collègues se mettaient à parler « cité », j’étais nécessairement exclue parce que ces codes de langage là je ne les ai pas intégrés. L’apprentissage et la bonne utilisation de la langue, c’est le premier pas vers un tissu social solide.
    La langue argotique a son importance, mais parce qu’elle est le signe de marqueurs sociaux et générationnels (c’est bat, c’est cool, c’est hype, c’est….), quand elle est le signe d’un marqueur purement géographique au sein d’un même territoire, c’est de la ségrégation. Je vais passer pour une vieille réac, mais je le pense. Quand je suis dans le métro, à côté de jeunes de mon âge, qui vivent dans le même pays que moi, et même dans la même région, je suis sensée les comprendre, or ce n’est pas le cas.
    Se démarquer, oui. Mais pourquoi ? C’est là la question principale. Protéger les langues régionales (comme le demande l’Europe), d’accord, éventuellement, pourquoi pas… mais il faut aussi se demander ce que ça risque d’impliquer en terme de réalité quotidienne. Et le langage « cité » c’est la même chose, surtout quand il y a DES langages « cités », selon qu’on est du 9-3, du 5-9 ou même du 5-8 (pour la blague). Et des langages au sein d’une même cité. C’est là que commence la ghetthoïsation…

    Maintenant vous pouvez me frapper j’ai fini.

  4. OK, les langues doivent évoluer… mais les djeun’s ne maîtrisent plus très bien le français, qui est (déjà) une langue on ne peut plus riche.
    Et dans le boulot, notamment, c’est un peu problématique.
    J’ai une wesh wesh au travail… bein on passe beaucoup de temps à la décrypter (à l’oral avec des zyva partout) comme à l’écrit (incapable d’écrire 5 lignes sans fautes)!
    Alors ces personnes, qu’elles fassent évoluer la langue, très bien. Mais qu’elles apprennent déjà la nôtre, ça nous permettra de mieux communiquer ensemble! 😉

    Sidji

  5. Imagine si la langue était figé, s’il n’y avait pas la culture des banlieues pour sans cesse réinventer de nouvelles expressions… ce serait chiant, non? Ce serait une langue semi-morte, presque comme le latin…

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