Clap de fin

C’est une journée comme une autre, une journée qui commence avec de petites contrariétés : un réveil qui tombe pour cause d’arrêt trop brutal, un train qui a 15 mn de retard. C’est une journée qui se déroule normalement au boulot et qui devrait bien se finir, je passe la soirée avec mes anciens collègues de chez Pubilon.

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Sortie du boulot à l’heure, je pense à recharger mon pass navigo, je récupère le métro : tout va bien. Je trafique mon téléphone, il n’y a pas trop de monde, je suis assise sur un strapontin. Station Ranelagh, le métro rentre en station et  s’arrête mais les portes ne s’ouvrent pas, l’électricité est coupée. Le conducteur de la rame nous annonce d’une voix un peu tremblante qu’un incident voyageur l’oblige à interrompre la circulation sur la ligne. Il précise ensuite aux passager du dernier wagon, encore dans le tunnel, qu’ils doivent patienter.

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Des passagers sortent de la rame, je les suis. On regarde un peu autour de nous mais le fait qu’ils coupent l’électricité me parait très clair… D’ailleurs des agents RATP, très calmes, nous invitent à quitter la station. Peut-être que c’est un malaise ? Je croise un agent qui parle à un autre « Tu l’as vu se jeter…? ». Ok plus de doute. Pendant qu’on remonte, j’aperçois des silhouettes au dessus de nous penchées vers les rames pour voir ce qu’il se passe. Sur le coup, j’ai envie de les engueuler. J’ai jamais compris ce besoin de se rassasier
de la vue du sang. Vous espérez quoi ? Voir un bout de jambe qui traîne ? Autour de moi, les gens râlent « putain, ça fait chier, quelle galère », ça appelle pour prévenir qu’on sera en retard. Y a vraiment que moi qui comprends ce qu’il se passe ou quoi ? Surface, la rue, les pompiers arrivent. Je me sens pas très bien, je ne sais pas trop quoi faire : je suis au milieu d’un quartier que je ne connais pas, je ne sais pas vers où partir pour rejoindre ma soirée. Je consulte google map, je vais y aller à pied, tiens, ça me fera du bien de marcher. Tiens, je tremble un peu, ce doit être le froid. D’abord, je pense que la personne s’est jetée sous la rame d’en face puis je réalise : c’est la nôtre qui n’est pas rentrée en entier dans la station, c’est notre conducteur qui n’avait pas l’air au top de sa forme, c’est de notre côté que ça s’agitait. Merde.

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Hier, une personne a décidé qu’elle en avait assez. Je ne sais pas in fine si elle est décédée ou pas (oui, on peut survivre à une rencontre avec un métro mais en très mauvais état) mais forcément, ça interroge. A quel moment on décide que c’est terminé, que l’on a à ce point marre qu’on choisit une façon de partir violente et sans retour ? Je m’étais posée la question y a 8 ans, quand ma tante s’est précipitée sous un train. Je continue à me la poser aujourd’hui. Hier, j’ai croisé la route d’une personne qui n’en pouvait plus de vivre. Ce n’est hélas pas le seul à faire ça. C’était la première fois en 5 ans que j’étais dans le métro concerné. Tout à coup, le fait d’être coincée au fin fond du XVIe n’avait plus grande importance. Je ne saurai jamais qui était cette personne, le pourquoi de son geste. Hier, la soirée a continué, j’ai passé un bon moment avec mes anciens collègues qui me manquent. Peut-être qu’hier, quelqu’un est mort à quelques centimètres de moi. Hier soir, j’ai écouté le récit d’une de mes anciennes collègues coincée dans la rame derrière la mienne se retrouver obligée de remonter le tunnel du métro à pied pour atteindre la station suivante et trouver une autre solution pour nous rejoindre. Et on a ri quand elle nous a expliqué que le bus dans lequel elle est montée a trouvé le moyen de se cartonner avec un autre. Ce matin, j’ai repris les transports sans même y penser. Hier, une personne est peut-être morte dans un espace où j’étais et finalement, je n’en pense plus grand chose. Je reste perplexe sur le geste, sur cette volonté à un moment d’en finir brutalement, cet espèce de courage lâche. Au fond, je ne sais pas bien ce qui me choque le plus : le geste ou notre relative indifférence à tous. Dieu Merci pour moi, je n’ai rien vu. Ca n’a pas été le cas de tout le monde. 


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Un article super intéressant sur rue89 sur le sujet.

6 réflexions sur “Clap de fin

  1. Même si j’ai peu de temps pour venir lire tes articles, celui-ci est vraiment bien écrit. J’aime la pudeur de tes mots.

    Je ne sais pas pourquoi mais je pense que les gens qui se suicident, portent en eux, depuis toujours, un certain désespoir qui cohabite avec une sensibilité excessive. Elles sont de véritables éponges, ce qui fait d’elles, des proies. Mais je crois qu’il y a aussi des gens brillants qui se sentent probablement affligés par le non-sens de la vie, la fureur vaine de ce monde et la cruauté de l’Homme. Lorsqu’on a ouvert les yeux et que l’on constate que toute sa biographie n’est même pas un battement de cil à l’échelle de l’univers et qu’en plus, elle est totalement dépourvue de sens, ça a de quoi … Déprimer n’importe qui finalement.

    Et c’est pour cela que la plupart d’entre nous tâche de se concentrer sur le détail de notre propre bien-être.

  2. oui, bien écrit et courageux quelque part. d’un coté le voyeurisme du sang, dont je ne sais pas tres bien si c’est l’attrait du pervers ou autre chose, et puis cet espece d’instinct de survie qui nous pousse à oublier très vite les gens qui meurent (quel que soient les conditions) a l’image des animaux qui ne se préoccupe pas plus que ça de leur morts. ça fait reflechir en tout cas

  3. Mercredi dernier à Birmingham, un jeune homme est resté sur un pont au dessus d’une voie express pendant une trentaine d’heure avec l’intention de se jeter. La police a fermé le circulation d’une partie du centre-ville pendant tout ce temps. Apparemment pas mal de gens étaient énervés des contretemps occasionnés, certains allant même jusqu’à l’encourager à sauter… L’issue est heureusement plus positive et la police a pu le stopper.

    Mais encore une fois ça en dit long sur d’une part, le besoin d’envoyer un message à travers la mise en scène de son suicide et d’autre part l’insensibilité extrême qu’on peut révéler. Comme tu le dis, sans doute parce qu’on ne préfère pas essayer de comprendre, ça nous renvoi trop à nos angoisses et à notre insignifiance.

  4. Je n’ai jamais vécu une situation comme celle-ci. J’imagine que ce doit être perturbant.
    Dis toi que, quoi qu’il soit arrivé à cette personne, c’était un choix délibéré que nous ne pouvons ni juger ni comprendre.
    Quant à l’indifférence, c’est ce qui reste de plus simple pour se protéger…

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