A fleur de peau

Par Lucas

Je sais bien : avec cet article je m’écarte encore une fois de la ligne éditoriale des Vingtenaires comme je l’avais fait une fois avec la Fondation Maeght ou plus récemment avec le rôle psychologique du coiffeur


Mais bon, d’un autre coté si  je la respectais à 100% cette ligne éditoriale, ça fait longtemps que j’aurais partagé avec vous mes errances amoureuses, mes séductions éparses et mes regrets eternels éphémères. Je préfère donc me la raconter graaaaave et ouvrir les yeux des lectrices et lecteurs sur un truc plaisant. Passons donc sur la licence que je m’octroie encore une fois et parlons d’un sujet merveilleux que je vais seulement survoler de trop haut : el Tango…

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  Le Tango est une danse (sans blague).

Une danse qui se fait à deux (on aurait tendance à l’oublier avec la house, le hip-hop et la tektonik ta mère).
Une danse, disais-je.  Magnifique,  élégante et sensuelle, empreinte d’une atmosphère surannée conférée par le son du bandonéon. Tous ces petits pas faits de retenue et de souplesse, cette proximité des deux esthètes, des deux complices…
Ca y est je suis ému.

Complice. Je trouve que c’est ce qui manque en boite. Comment voulez-vous réussir à développer une complicité, quand on ne touche pas l’autre ? Les plus prudes ou les plus intelligentes des lectrices me diront que, justement, c’est là toute la subtilité : réussir à créer, au travers d’une sensualité dans le regard, la gestuelle et le facies, une connivence. Réussir à se faire comprendre d’une simple œillade ou d’un simple pas. Bon. D’accord. Certainement. Peut-être. Pourquoi pas. Mais justement : devinez quelle est la danse où la règle veut que les yeux ne se croisent
jamais ?? Bingo : c’est le Tango.

Avec le Tango, les pas ne sont pas effrénés, ils ne sont pas tenus à un rythme oppressant qui tue toute créativité. Prenons un rock’n’roll, un truc basique à 4 temps  (différent du rock acrobatique à 6 temps). J’en ai fait un trimestre entier au collège en 3ème car sur les 3 heures hebdomadaires, mon prof d’EPS prenait la dernière heure  de la semaine pour nous faire danser (c’était graaaaave bien). Bref, un rock’n’roll,  c’est avant tout l’enchainement de passes, plus ou moins aériennes, sans même chercher à mettre en accord les variations de la musique avec
les pas choisis… Mais surtout,  sans créer de réelle complicité entre les deux acolytes : la femme n’est qu’un objet entre les mains du meneur.

Vous me direz certainement qu’il est des pas de rock (à 6 temps) ou même d’autres danses qui sont réalisés… de concert et que c’est là le propre de la danse : cette connivence, cette recherche du geste gracile commun,  effectué à deux. Certes…  Mais là on rentre dans la danse de salon à 6 temps et non le rock’n’roll pur et simple. En rock’n’roll, la jeune femme se laisse aller entre les bras du prince en adoptant un pas rythmé : elle est le plus souvent suiveuse et objet. Véritable instrument, elle se laisse mener sans mots dire.Or, dans le tango, il y a une complicité
dans chaque pas, souhaitée et recherchée. Le Tango est une philosophie (ça par contre, ça vous épate, hein ?)

Ce qui caractérise cette danse c’est l’abrazzo ou l’étreinte. Une fois qu’il est accompli, les deux complices vont lancer leur propre langage, leur propre univers et se livrer l’un à
l’autre… Tout en retenue.
La demoiselle est enlacée mais pas trop, on est à la limite mais on ne va pas plus loin. Regardez un couple danser, il y a un partage de sensations et de sentiments épars, sans que les yeux ne se rencontrent. Subtilité : tout n’est que suggestion qui semble émaner des deux corps enlacés.

La musique assure un lien entre les deux partenaires voire même plus : une connivence.
Dans un tango, on ne se parle pas et on ne se regarde pas dans les yeux : on se cherche mutuellement  dans les pas de l’autre. Le toucher, la proximité des corps, l’unité recherchée permettent une complicité des plus intenses qui va au-delà des mots.  Comme dans la vraie vie, l’exigence qu’on a envers l’autre est une forme de respect. Cela est associé au port de tête altier et la prestance générale. Le Tango c’est un peu un langage silencieux où la gestuelle est un dialogue fait de questions et de réponses… Tout ça avec le métronome, implacable : la musique qui impose de faire des choix et de prendre des initiatives. Tantôt l’un des deux fuit l’autre,  tantôt les deux corps ne font qu’un : on passe, de manière impromptue, d’une pudeur indicible  à une pose sensuelle, d’une retenue distante à un pas incandescent. Tout n’est que caresses : dans le pas des jambes sur le sol ou le toucher feutré entre les deux complices…

Etonnant cette dichotomie entre la sensualité indéniable et la distance de façade maintenue entre les deux. Les poses les plus « chaudes » sont tout de même matinées d’un je ne sais quoi, une
retenue, un souffle, une prestance…

Mais la danse est déjà terminée. La fin de la chanson, c’est la fin d’une histoire, d’un univers à part, la fin d’une pause chaleureuse et le retour à un monde froid et hostile : il y a comme un flottement comme si les deux complices hésitaient à revenir dans la vraie vie.

Il y a indéniablement une philosophie du tango… Et je dirais même plus. Relisez donc cet article en remplaçant le mot tango par « vie en couple »…

10 réflexions sur “A fleur de peau

  1. Juste magnifique cette vidéo de Tango !
    Ces pas à la fois gracieux, hyper précis et même souvent « drôle » 🙂
    Impressionnant ! Ca donne envie…

    Si je n’avais pas deux pieds droits et aucune mémoire des pas (j’ai beaucoup souffert en tentant d’apprendre la Salsa…) je pense que je tenterais le Tango !

    Shall we dance ?

  2. Hello, je suis d’accord avec ce que tu écris, mais plus réservé sur le lien à YouTube fourni: excellents danseurs, certes, mais c’est un peu trop « sportif » à mon goût. En matière de connivence dans le couple, la référence reste, amha, Gavito, à découvrir ici:

    http://www.youtube.com/watch?v=M0ceFYKFbjE

    C’est sobre, épuré, beau et tellement subtil… :-))

  3. Superbe la video, les moulinets de jambe qu’elle arrive à faire… impressionant !
    C’est vrai que cette danse est une allégorie du rapport homme/femme, certes très dramatisé, c’est une danse latine quand meme.
    Il y a quand meme un point commun entre le tango de la vidéo et la tektonik, c’est que tu risques des coups si tu danses à coté…

  4. Salut Lucas
    Je commente pas souvent, mais j’aime bien tes articles et voilà une analogie qui me surprend de toi. Le tango, c’est effectivement super sensuel, connivence, beauté, tout ça… Mais c’est aussi la danse la plus macho qui soit sur terre ! Comme dans la majorité des danses, l’homme guide et la femme suit., c’est-à-dire qu’au toucher du partenaire dans son dos et au mouvement qu’il amorce, elle doit comprendre ce qu’il veut et l’éxécuter. La seule liberté d’improvisation qu’a la fille, c’est de décider quels mouvements elle va caser dans les temps morts que lui laisse l’homme, genre si elle va mettre sa jambe en haut ou en bas. De plus, dans les bals tango, les filles ne peuvent pas inviter les hommes, ça se fait juste pas. Elles font tapisserie et attendent qu’on les sonne. Comme la vie de couple, hein ? J’espère que non !

  5. Bon ouiouioui, c’est magnifiquement envoutant, ouiouioui c’est sensouel , mais quand même, ça nous fait nous sentir toutes pataudes nous les filles qu’on sait pas lever nos jambes jusqu’à nos oreilles (pitin avec les moulinets qu’elle fait, la donzelle, si j »étais à sa place il s’en prendrait des coups de talons dans les tibias l’hidalgo là…)
    Petite coincidence rigolote: j’étais à la défense aujourd’hui, et à côté de l’ugc y’avait une demi douzaine de couples qui dansaient le tango, justement. Comme pause déjeuner c’est rigolo…

    P.s:(ta vision de la vie de couple m’effraie, Lucas)

  6. Diane, il y a souvent des cours de danse sur l’esplanade entre midi et deux, au niveau du manège. A une époque, le mercredi, y avait salsa.

    Faich, y a pas ça dans mon coin, ça m’aurait bien arrangé.

  7. Je réclame un copyright sur le tecktonik ta mère, non mais oh!

    Bon, sinon, ya pas un homme qui veut apprendre en même temps que moi? (parce que j’ai des doutes sur la motivation de mon cher et tendre…)

  8. Hum bon je vais faire mon relou anti danse pré-existante, mais moi en boîte j’arrive à toucher les gens sans le lancer dans des mouvements tous préparés ^^ A la limite, pour le tango, il faudrait faire des bals, mais en boîte c’est une autre musique, ça se danse d’une autre façon, et ça n’a jamais empêché (enfin moi en tout cas) de créer une ‘complicité’ (hum le mot est peut être un peu fort) avec des partenaires 😀

  9. J’aurai aimé écrire la même expérience à 20 ans ou 30. Elle est si juste que je ne puis qu’approuver ce texte reflétant au plus près cette approche de la perfection du corps à coeur si éprouvante et si émouvante durant les 3 minutes égrenées par les pas musicaux qui portent ainsi le couple devenu unique, unifié, dansant sur une autre planète?

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