De l’obsolescence du niveau d’incompétence

J’aime bien les titres pompeux, réminiscence de ce temps où j’étais étudiante chercheuse (ça me manque).

Vous connaissez certainement le principe de Peters, celui qui dit que chaque salarié progresse jusqu’à atteindre son point d’incompétence, salarié qu’on range généralement dans le management, là où il est de fait le moins nocif (un jour, on réhabilitera le management j’espère). Principe qui nous permet de nous moquer de notre manager si on l’aime pas.

Or depuis quelques temps, j’ai noté un phénomène troublant : ce point d’incompétence n’existe plus ou plutôt on ne nous laisse plus l’atteindre. Regardez autour de vous dans l’open Space et comptez le nombre de salariés rentrés à un petit poste et qui ont monté les échelons. Je sais pas chez vous mais chez moi, y en a pour ainsi dire pas. Maintenant comptez ceux entrés à un poste, qui font leur temps et qui quittent la boite pour gravir l’échelon suivant. Ça fait de suite beaucoup plus. Bon, après, je parle de mon milieu mais est-ce différent ailleurs ?

Prenons le cas compliqué des formations. En general, quand on n’est pas trop con, on vise une formation nous permettant de nous rapprocher de l’échelon suivant. Sauf que pour l’obtenir, bon courage ! « je voudrais une formation management » (ou storytelling ou création d’une offre commerciale, que sais-je). « Mais tu manages personne. Tu veux pas une formation gestion de projet ? » »Genre le truc que je fais tous les jours depuis plus d’un an et que tu viens de me dire que je le fais bien ? » « Et une formation en anglais ? » « Je viens de la terminer et puis à part un client, ils sont tous franco-français ». « Ah oui, ok… Bon, je reviens vers toi ASAP pour voir ce qu’on peut te proposer ». Dans les faits, à part la fameuse formation en anglais l’an dernier, je n’en avais jamais eu. Je recite Simon de TGGP « ils veulent pas nous filer de super formations de peur qu’on s’en aille ». En effet, je serais restée chez TGGP, j’aurais eu droit à une formation « animation de communauté ». Indispensable quand on a 2 ans d’expérience en la matière…

Du coup, on n’arrive même plus à progresser jusqu’à notre point d’incompétence. Oh, le calcul est en soi compréhensible : je vais bien mon taf, me faire évoluer est prendre un double risque : que je sois moins douée au poste supérieur et que la personne qui me remplace soit moins efficace. Non que je sois un génie de la gestion de projet ou du community management, nul n’est irremplaçable mais pourquoi changer une équipe qui ronronne ?

Justement parce qu’elle ronronne justement. Quand on passe un temps certain au même poste, on perd de l’enthousiasme et la créativité décline pour être remplacée par l’habitude. Sans réclamer une promotion tous les 3 mois, savoir qu’à un moment, ça arrivera, ça stimule. Ça donne envie de pas répliquer bêtement les mêmes tâches mais proposer un petit plus, montrer qu’on en a sous la pédale. Tu m’as adorée en tant que chef de projet ? Tu me kifferas en tant que strategist (nouveau terme à la mode pour dire consultant, je l’aime trop, ça fait éminence grise machiavélique, mouahahah !).

Et puis pardon mais depuis toute petite, on m’a appris que l’evolution est dans l’ordre des choses. Maternelle, primaire, collège, lycée, fac… Si j’étais compétente, je passais au niveau supérieur. Et là faudrait qu’on ne bouge plus ? C’est anti naturel !

Et que dire des employés Kleenex, freelances, intérims, CDD « pouvant-évoluer-en-CDI » qu’on prend et qu’on jette en fonction des besoins, les licenciements qui se terminent au prud’hommes avec une condamnation régulière de l’employeur. Quand on sait qu’en région parisienne, y a 2 ans d’attente avant que l’affaire passe en jugement, imaginez le nombre de licenciements jugés abusifs par le salarié… Et c’est pas juste pour le fun, faut payer un avocat hein (et qui paye les juges, tiens ? Le perdant ?).

Bref, le salarié est parfois un bout de bois balloté par l’océan patron et qui ne dispose que peu d’armes pour se défendre (ou les saisit peu, je pense). Mais attention ! Au pays du travail comme ailleurs, rien n’est tout noir ou tout blanc, y a aussi des salariés salopards.

Je vous en parle demain.

8 réflexions sur “De l’obsolescence du niveau d’incompétence

  1. J’en suis exactement à ce point là maintenant tout de suite…du coup je me forme seule (merci la Google Academy) et je cherche à me barrer… bien ouej! 😀 c’est sûr que ce qu’ils vont dépenser en recrutement va moins leur coûter qu’en formation… OH WAIT!

    1. N’est-ce pas !! 😉 Non mais sérieux, est-on censés stagner toujours au même niveau car on veut pas nous former ou nous faire évoluer ? C’est d’un ennui !

  2. Merci pour cet article, qui est très juste. C’est notre monde du travail qui veut ça, on peut difficilement évoluer, et pour trouver un emploi on demande souvent « une expérience significative » ; comment évoluer si l’un des critères est une expérience sur le même poste ??!!!

    C’est également ce que je vis, j’occupe le même poste depuis 2 ans, je viens au travail sans grand enthousiasme, et on m’assène des « mais bientôt ça va changer », « il faut être patiente », « il y aura des formations ». Sauf que quand j’ai été embauchée, des travaux devaient commencer d’ici 2 mois maximum et déboucher sur une création de poste de responsable des réservations (le mien)… Le résultat c’est qu’on jongle comme on peut avec 3 personnes qui font tout, prendre des jours de congés est devenu quasi impossible et on a tous envie de mettre les voiles… Et tester notre niveau de compétences ailleurs !!!

    1. Ben clair, c’est un peu étonnant quand tu as passé du temps au même poste et quand tu demandes d’évoluer, on te dit que t’as pas d’expérience sur les compétences données… Mon premier travail, j’avais pas d’expérience, c’est pas pour autant que j’étais incompétente…

      Sinon, le bon vieux « attends un peu, ça va bouger pour toi », je n’ai qu’une chose à répondre « ahahah ». C’est possible hein, mais bon, j’ai parfois l’impression que le travail, c’est comme une relation amoureuse avec un pervers narcissique qui te promets monts et merveilles, t’humilie les 3/4 du temps et dès qu’il sent que tu es prête à partir, te re déclare son amour en te promettant monts et merveilles… Youhou !

  3. C’est un peu le gros plus de l’administration. Les formations sont très nombreuses, de haut niveau, mais surtout… assez libre. Bien sûr, il faut toujours une validation hiérarchique, mais généralement ça passe à tous les coups (selon le patron). De toute façon, comme on a un crédit « illimité », le DIF ne sert que dans les cas où le N+1 ne valide pas une formation. Bref. La voie royale.

    Même si malheureusement, la formation ne suffit pas pour l’évolution de carrière des fonctionnaires. En revanche, du côté des contractuels c’est l’idéal (il faut bien compenser la précarité).

    1. Oui alors que dans le privé, tu sens que ça fait un peu chier alors que c’est un droit. Et un réel plus pour tout le monde, je pense que je suis plus intéressante en tant que salariée avec quelques cordes à mon arc en plus. Sauf qu’évidemment, je voudrais + de salaire pour ça (ben oui, si je suis + compétente, il est logique que je sois mieux payée) et là, de suite…

      De façon générale, je trouve de toute façon ridicule qu’on refuse une formation alors que le système devrait être gagnant-gagnant si on envisageait les choses sous le bon angle. Mais bon, à ce sujet, j’ai un peu la sensation de pisser dans un violon et d’être la seule à être convaincue de ça…

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