Pas un phare

Par Diane

Nina, lecteurs, lectrices, jeunes et vieux, grabataires et prépubères, public chéri mon amour.

Il est arrivé récemment une drôle d’aventure qui m’a donné à réfléchir. Et quand je dis « drôle », ce n’est pas tant de par la vertu comique -loin de là- qui se dégagerait de l’événement, mais plutôt parce que celui-ci, bien qu’il ne soit pas extraordinaire en soi,  m’a laissé sur le coeur et la conscience comme un arrière goût d’incompréhension et d’amertume persistante.

Je suis allée il y a quelques semaines de cela dîner un vendredi soir avec des collègues et amis du côté des Halles.

En fin de soirée, nous nous dirigeons vers le RER quand une de mes collègues à l’oeil perçant remarque une jeune fille la main dans le sac d’une autre de nos collègues. Cette dernière vérifie, le sac ouvert, le portable envolé. La tentative très pacifique de récupérer le portable échoue, la vile voleuse ayant une armada de copines pour la pousser vers le RER. Nous restons là, pantelants et, disons le, comme des cons, les regardant s’éloigner. 

A ce moment là, plusieurs choses viennent à l’esprit: énervement, hébétude, colère, dépit, et surtout, hésitation devant la marche à suivre.

Une de mes collègues particulièrement réactive est allée directement au guichet, a brièvement expliqué la situation au monsieur RATP et voilà t’y pas qu’en un dixième de seconde une dizaine d’agents de la sécurité RATP débarquent et fondent sur les auteures du rapt portabilique. 

S’ensuit une série de hauts cris à tendance hystérique et un portable récupéré (déja sans puce….).  Tandis que justice se faisait, mon petit groupe de collègues et moi étions au milieu de tout cela. Et les secondes passant, nous commençâmes à observer que petit à petit des groupes de jeunes gens à l’air pas tellement avenant se formaient autour de nous. Grossissant avec les secondes, tandis que les cris persistaient du côté des donzelles interpellées. Les essaims qui s’étaient formés autour de nous commencèrent à sortir leurs portables,
et à nous prendre en photo. J’ai beau être une bonne banlieusarde ayant pas mal fréquenté les mauvais quartiers, je sentais petit à petit la tension monter au rythme des essaims qui croissaient toujours autour de nous et, pareille à ces inculpés que l’on voit aux flash infos, j’eus le réflexe de leur tourner le dos pour ne pas montrer mon visage (étrange retournement de situation qui me fait prendre victime une attitude de coupable…).

Les donzelles en cause ont été embarquées. Et là, d’un coup, le plan initial de prendre le RER pour rentrer chez moi ne m’est soudainement plus apparu comme une option possible, les regards des groupes alentours toujours fixés sur nous.

Heureusement, les agents de la sécurité nous ont proposé de nous escorter jusqu’au commissariat où des proches pourraient venir nous chercher. Fin de l’histoire.

Et après coup, je me demande: si une situation du même genre se présentait, prendrais-je le risque de me défendre?

Sur le coup, avec 8 agents de sécurité et une bonne trentaine de jeunes gens moyennement friendly autour, je vous avoue que j’ai sérieusement eu les miquettes, et que du coup on en vient même à regretter de ne pas s’être laissé faire.

On se dit que bon, il vaudrait ptêtre mieux se laisser piquer son portable et rentrer chez soi en paix.

Mais d’un autre côté, si tout le monde se dit cela, il reste tout de même un très gênant et agaçant sentiment d’impunité, de leur donner exactement ce qu’ils veulent, de se laisser terroriser. Quelque part, ce soir là, après avoir piqué peut-être 154 portables, eh bien justice à été faite. C’était une récidive, il y aura des suites.

Etant professeur, quand j’étais au milieu de l’essaim, plus tellement rassurée que ça par les agents de sécurité d’un nombre bien inférieur à l’essaim en question, je me suis dit que c’était cela que devaient ressentir les élèves victimes de racket qui ont dénoncé leur tortionnaire et qui ont peur des représailles. Que les agents RATP, c’était nous les profs qui rassurons les élèves en leur disant que tout ira bien. Mais nous ne sommes pas en permanence derrière eux, nous ne sommes pas là quand ils franchissent la porte du collège la peur au ventre pour parcourir le plus rapidement possible la distance qui les sépare de chez eux.

Et puis je pense au groupe de jeunes filles en question dont les journées consistent à errer dans les alentours des halles en gueulant le plus fort possible (il faut bien exister…) et de gérer leur petit trafic de vol de portables ou que sais-je encore.

Elles nous regardaient avec une telle haine et une telle colère pendant l’interpellation que j’avais l’impression que c’était nous qui étions en faute. Que se défendre, c’était presque les insulter.

Puis-je vraiment leur en vouloir? Qu' »est ce que c’est, leur vie à elles? Qu’est ce qu’elles ont eu comme choix dans la vie?

Alors oui je sais faut redescendre sur terre, c’est pas nouveau tout ça, c’est ça la vie etc… Cela n’a rien d’extraordinaire. Et pourtant.

J’ai un mauvais goût dans l’âme. Une sensation de lâcheté de ma part (si ma collègue n’était pas allé prévenir la RATP, l’aurais-je fait?), d’incertitude (si la situation se représente, le ferais-je? toute ma raison et ma « conscience citoyenne » me disent que oui, le désagréable souvenir de cet événement me le permettra t-il?). Un peu de honte, un peu de compassion triste aussi. Je pense à certains de mes élèves, gentils au début, qui flanchent petit à petit parce qu’ils ne sont pas adaptés au système scolaire français et qu’ils en ont
légitimement marre d’enchainer les 2/20 et qu’on les oblige à rester cloués sur une chaise 8h par jour jusqu’à leurs 16 ans. Alors ils n’essayent plus. Ils cherchent, et trouvent bien vite une autre façon d’exister.

Menfin. Sur ce, et pour finir sur le sujet, j’en profite pour une nouvelle fois vous refiler du Hugo à cogiter. Un extrait d’un très joli poème qui a d’ailleurs été cité il n’y a pas longtemps dans un téléfilm sur l’école  justement. Hugo s’adresse ici aux dirigeants politiques, mais cela s’adapte très bien aux professeurs et éducateurs de tous poils. 

Sic transit gloria mundi,

Pfiouuu…

 

 [… ]Je défends l’égaré, le faible, et cette foule

Qui, n’ayant jamais eu de point d’appui, s’écroule

Et tombe folle au fond des noirs événements ;

Etant les ignorants, ils sont les incléments ;

Hélas ! combien de temps faudra-t-il vous redire

À vous tous, que c’était à vous de les conduire,

Qu’il fallait leur donner leur part de la cité,

Que votre aveuglement produit leur cécité ;

D’une tutelle avare on recueille les suites,

Et le mal qu’ils vous font, c’est vous qui le leur fîtes.

Vous ne les avez pas guidés, pris par la main,

Et renseignés sur l’ombre et sur le vrai chemin ;

Vous les avez laissés en proie au labyrinthe.

Ils sont votre épouvante et vous êtes leur crainte ;

C’est qu’ils n’ont pas senti votre fraternité.

Ils errent ; l’instinct bon se nourrit de clarté ;

Ils n’ont rien dont leur âme obscure se repaisse ;

Ils cherchent des lueurs dans la nuit, plus épaisse

Et plus morne là-haut que les branches des bois ;

Pas un phare. A tâtons, en détresse, aux abois,

Comment peut-il penser celui qui ne peut vivre ? [….]


Hugo, à ceux qu’on foule aux pieds

5 réflexions sur “Pas un phare

  1. Je suis parfaitement d’accord avec toi. On est toujours là à blâmer ceux qui regardent sans rien faire mais il faut beaucoup de courage pour agir, a fortiori quand ce n’est pas un simple vol à la tire ! Et puis, comme toi, j’ai quand même tendance à ressentir de la compassion pour ceux qui font ce genre de chose. Car je pense (comme Rousseau :p) qu’à la base, l’homme est fondamentalement bon mais qu’il est corrompu par la société, d’une manière ou d’une autre. Le poème de Hugo est vraiment magnifique et très émouvant !

  2. Ah Hugo, j’adore ! Tu connais l’Ange Liberté ?
    Sinon, concernant ton sujet, pas facile d’être confronté à une forme de violence ordinaire. A l’école on ne nous apprend pas à faire face à ça…

  3. Le plus révoltant c’est cette espèce de pseudo-solidarité entre l’auteur du délit, ses amies et de simples badauds qui semble transparaitre de ton récit. Si c’était le leur de téléphone, ou de porte-feuille, ils réagiraient comment? Ils penseraient « ah trop forte, t’as vu? »…

    Belle hypocrisie, enfin il est plus probable qu’ils n’avaient aucune idée de ce qui se passait mais se faisait un film sur les pauvres jeunettes terrorisées par la police et dénoncées à tort par des [insère ici le cliché de Diane & friends].

  4. Arf, quel dilemme!
    Je ne sais vraiment pas quelle aurait été ma réaction dans une telle situation… Mais la pertinente réflexion qui s’en suit est pertinente. Merci de se partage et pour cet article très intéressant.
    Si ça peut te rassurer, mon frère s’était fait voler son portable à l’arraché dans le métro parisien. son réflexe? il a couru après le mécréant, l’a choppé par l’épaule et lui a mis son poing sur la figure. Et pourtant, mon frère n’est pas si costaud (grand mais fin). Résultat : il a récupéré son téléphone sous les regards désabusés des autres usagés qui, évidemment, n’avaient pas bougé d’un poil!

  5. Nina: a priori, une petite voix au fond de moi a très envie de croire que l’on nait tous également/potentiellement bons et que c’est la société qui nous déforme, et même pour beaucoup j’en suis convaincue; mais plus je fréquente le genre humain, plus je me dis que je n’en suis plus si sure que cela…
    Eric: oui, je connais l’ange liberté! « de la lumière, de la lumière, encore de la lumière! » jolie petite allégorie.
    Matt: je me suis sans doute mal exprimée, au fait les groupes autour qui se formaient et prenaient des photos, c’était des bandes de loulous (pour utiliser un mot gentil) qui étaient liés à celle des donzelles qui nous avaient volé le portable! C’est un phénomène connu dans ce coin de Paris, il y a tout un réseau bien organisé de pick pockets.
    Et les bandes de jeunes garçons qui se formaient petit à petit autour de nous et prenaient des photos, c’était les copains des filles qu’on faisait arrêter… d’où les pétoches et la tension qui monte…! Et les photos qu’ils prenaient, je te laisse imaginer dans quel charmant but c’était…
    Lilith: Je vénère ton frère. ça fait du bien à entendre ce genre de choses. Mais il est vrai qu’il est peut-être et même surement plus facile de réagir et de se défendre quand on est 1 contre 1 que contre une bande organisée…
    D’autant plus quand on fait un mètre 12 les bras levés…

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