Le débat a-t-il pour réel objectif de faire changer d’avis l’autre ?

De temps en temps, je me lance dans un débat sur Twitter : des échanges d’arguments ponctués d’attaques sur mon ouverture d’esprit et quelques noms d’oiseaux en prime. J’en ressors parfois lessivée et certains me disent “non mais tu ne le feras pas changer d’avis, laisse tomber”. Non. Parce que c’est pas forcément elle ou lui que je vise mais ceux qui lisent l’échange en silence et pourraient être touchés par certains arguments.

chatrier-loges-vides-tennis

Un soir de 2012, deux hommes engoncés dans un costume débattent sous l’oeil torve d’un homme et d’une femme qui balancent aléatoirement des timings. A droite, Nicolas Sarkozy, à “gauche”, François Hollande. Les deux se balancent chiffres, promesses et punchlines sur des sujets lancés par les deux arbitres qui ne servent pas qu’à donner l’heure. Nous voici au coeur du débat d’idées de la Ve République, le fameux débat présidentiel d’entre deux tours qu’on regarde pour… se laisser convaincre ? J’aimerais avoir une étude précise sur la réelle influence du débat d’entre deux tours sur le résultat final… J’en étais restée à environ 10% de l’électorat qui est indécis et qui peut être conquis lors de cette grande cérémonie mais est-ce toujours le cas ? Bref, ça échange, ça débat, ça s’indigne et à la fin, chacun reste campé sur ses positions… Ca vous étonne ? Bien sûr que non, imaginez la scène “Mais… mais vous avez raison en fait. Mais oui, vous venez de m’ouvrir les yeux ! Bah écoutez, vu que vous êtes dans le vrai, j’invite tout le monde à voter pour vous.” Non, non, soyons sérieux deux minutes. Mais alors du coup, pourquoi débattre vu que personne ne lâchera le morceau ?

le débat télévisé de la présidentielle

Parce qu’on ne cherche pas à convaincre son contradicteur direct mais bien l’audience passive. Déjà, admettons assez facilement qu’il est difficile de faire admettre à quelqu’un ses torts en public. Je pense pouvoir plaider coupable, ce moment où tu sais que l’autre a raison mais ça t’arrache la gueule de l’admettre. Mais il y a aussi les autres, ceux qui te répètent en boucle les trois mêmes arguments foireux que tu entreprends de démonter à grand coup d’articles (écrits par d’autres) ou de vidéos qui expliquent en long, large et travers les quelques notions que tu balances de ci de là genre, au hasard, l’humour oppressif (humour oppressif, humour oppressif, humour oppressif, voici mes références habituelles, n’hésitez pas à m’en balancer d’autres au besoin). T’as beau expliquer, gentiment ou plus “énergiquement” le pourquoi de ta colère, tu butes systématiquement sur un mur de “mais je dis ce que je veux”, “j’ai encore le droit d’avoir mon opinion”, “mais moi, je connais quelqu’un qui prouve le contraire de ce que tu dis” (selon la grande loi qui dit qu’une seule exception dans ton entourage nique l’ensemble du travail des statisticiens et sociologues, t’séééé), “moi ça me fait rire, donc c’est drôle”, “ah Coluche et Desproges seraient bien malheureux aujourd’hui”, “on ne peut plus rire de rien” “oh, ça va les minorités, hein !”, “t’es qui pour me juger d’abord ?”, « c’est la liberté d’expression ! » « t’es pas Charlie, toi ! ». Bref, vous avez beau tenter différentes techniques, c’est le bide.

Hé oui, des fois, ça démange un peu de choper l'adresse du crétin qui s'entête pour aller lui en donner une
Hé oui, des fois, ça démange un peu de choper l’adresse du crétin qui s’entête pour aller lui en donner une

Et ce n’est pas grave. Parce que pendant que vous croisez fermement le fer avec Jean Connard (ou Jeanne Connasse), il y a Jean Naïf (Jeanne Naïve) ou Jean-ne “je n’avais pas d’opinion sur le sujet mais à présent que je te lis, j’ouvre les yeux” qui suit l’échange en silence. Et si vous avez bien argumenté, c’est celui là que vous allez convaincre. Si j’en reviens à mon cas personnel, j’ai appris énormément de choses en suivant des débats dans lesquels je n’étais pas impliquée, parfois par manque d’opinion, parfois parce que j’arrivais deux heures après la bataille. Prenons, au hasard, le débat sur le “mademoiselle” que les féministes ont souhaité supprimer des formulaires. Ma première réaction fut à peu près : “mouiiiiiiii ?”. Soit “heu ben appelez moi madame ou mademoiselle, peut me chaut”. Puis j’ai lu des échanges, parfois acerbes, entre celleux qui défendaient cette proposition et ceux qui s’indignaient parce que… ben, c’était soit par coquetterie (“hihi, j’aime qu’on m’appelle mademoiselle, c’est une façon subtile de me draguer, hihi”) et les “mais y a plus important comme combat, putain !” J’ai donc aussi réalisé à quel point les gens qui se foutaient des combats féministes étaient par contre très préoccupé par leur liste des priorités… Parce que c’est bien connu que les féministes sont un bloc monolithe qui ne peut prendre les problèmes que les uns à la suite des autres. Bref, d’un sujet sur lequel je n’avais pas grand avis, je me suis mise à défendre la suppression du “mademoiselle” dans les formulaires car j’ai compris en lisant des argumentaires qui ne m’étaient pas adressés en quoi, effectivement, c’était problématique. Je prends cet exemple mais je pense que ma conscience féministo-gauchiste (et surtout le fait que j’assume l’être, nous en reparlerons) s’est construite grâce à ses débats qui fleurissaient sur ma timeline, sur Twitter ou Facebook.

jeune fille lit sur un écran portable

Alors échange avec Jean-Connard, balance des arguments et tes liens et une fois que tu as bien tout étayé, pars la tête haute, un petit coup pour balancer tes cheveux avec classe par dessus l’épaule (comme c’est virtuel, tu peux le faire même si tu n’as pas de cheveux) et adresse un clin d’oeil complice à celui ou celle qui te lit sans savoir et qui sera convaincu. Limite, sois un troll et quitte Jean-Connard en le remerciant de t’avoir permis d’argumenter et de gagner de nouvelles personnes à ta cause.

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PO PO PO !!!

Ah oui, je vais faire ça la prochaine fois. Délicieux !

6 réflexions sur “Le débat a-t-il pour réel objectif de faire changer d’avis l’autre ?

  1. Je crois que j’avais abordé la question dans mon article « Et puis débattre » il y a quelques temps…

    Sur l’humour… j’aime l’humour noir. Maintenant il y a une différence entre l’humour qui dénonce les choses et « l’humour » fait pour blesser ou pour dire ce qu’on pense parce qu’on assume pas de le dire sur un ton sérieux. Mais ça, ce n’est pas de l’humour. C’est de la connerie.

    En fait je crois qu’un débat n’est pas fait pour convaincre, bien au contraire. Je me souviens d’une phrase dite par je ne sais plus qui (pardon pardon, je l’ai lu plusieurs fois en plus !) qui disait que le plus important ce n’était pas de chercher à convaincre mais de donner à réfléchir. Et cette personne je pense a tout à fait raison !

    1. Ah oui, c’est exactement ça ! C’est ce que j’espère toujours, que les articles ou vidéos que j’ai balancées ont été vus/lus, que la personne va comprendre pourquoi un certain type d’humour est nocif, par exemple (j’ai pris ce cas là car il s’agissait du dernier « débat » que j’ai eu mais je note qu’on en revient souvent à ça « j’ai fait une blague sexiste/raciste/homophobe… mais si tu ne ris pas, c’est que tu n’as pas d’humour et j’ai pas envie que tu m’expliques pourquoi c’est problématique ». Je trouve globalement la vidéo de Ginger (4e lien sur l’humour oppressif) hyper clair sur la notion d’humour. Je suis quelqu’un d’assez cynique et trash mais je fais toujours attention à ne pas blesser, en effet. Et si je le fais, au lieu de hurler à la liberté d’expression, à la frustration de l’autre et tutti quanti… Ben, je m’excuse. On se sert trop de l’intention pour ne pas faire de travail de réflexion sur ce qui a dérapé, je trouve « ah mais j’avais pas l’intention d’être sexiste/raciste etc. » Ah mais encore heureux ! Cependant, ta blague est tombée à côté, réfléchis un peu plus avant de la sortir. Enfin pour en revenir au débat, effectivement, j’ai eu un jour un débat houleux, rangé un peu dans un coin de ma mémoire puis quelques temps plus tard, j’ai revu ce même débat entre deux autres personnes et là, j’ai compris pourquoi la personne et moi n’arrivions pas à être d’accord : parce que nous ne placions pas le débat sur le même terrain (moi j’étais sur l’individu, sur quelque chose de plus psychologique alors qu’elle parlait de système, de quelque chose de plus sociologique). Du coup, en passant à son niveau, j’étais d’accord avec elle… sauf que je ne l’ai vu que bien plus tard mais j’avais inconsciemment était sensibilisée au sujet.

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