N’importe qui peut faire mon métier

 Il y a pas mal de temps, j’ai lu un article d’Hervé Brusini sur les journalisme et la blogosphère (Le journalisme, quand Internet est roi…, dans Le Monde du 05 mars… Oui, je
fais preuve d’une incroyable réactivité, là). Le lisant dans le train reliant mon sud adoré à Paris, j’étais déjà passablement de mauvaise humeur grâce à l’heure et demie de retard de mon train.
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Là, je lis la prose de M. Brusini et je suis passablement agacée. « Tous journalistes ? ». Ben tiens, c’est bien la peine que je me sois fait chier à faire 7 ans d’études alors que journaliste, c’est pas quelque chose qu’on devient, c’est quelque chose qu’on est. Hé oui, moi, je fais ma maline avec mon « master professionnel de journalisme » mais n’importe qui peut faire la même chose que moi.

Le blogueur est-il un journaliste ? Rien ne m’agace plus que cette affirmation. Qu’est-ce qu’un blogueur ? Quelqu’un qui écrit, se filme ou parle, nous sommes d’accord, il utilise finalement les mêmes formats qu’un journaliste. Je ne dénigre pas le média blog, sinon, j’aurais pas les miens ! Je trouve que les blogs, bien utilisés, sont un vecteur
d’information tout à fait intéressant, j’en lis tous les jours. Mais ce que j’aime dans leur blog, c’est leur subjectivité, leur légèreté.

Quand j’écris un article pour mes blogs, je suis en mode « fille ordinaire de 27 ans » et pas en mode journaliste. En gros, je ne fais pas de recherche documentaire, je décroche pas mon téléphone pour un entretien, avoir l’avis d’un psy, d’un sociologue ou d’un politologue, je croise pas les infos, j’ai pas de dossier de presse. Quand j’écris un article de blog, je me pose juste devant mon ordi et je plaque mes idées sur l’écran et ça ne va pas plus loin. C’est totalement subjectif et je le revendique. J’ai d’ailleurs dû m’énerver car pas mal d’internautes me reprochaient mes opinions, m’expliquant que « pour une journaliste », j’avais des avis bien tranchés. Apparemment, on est tous journalistes mais ceux qui en ont le diplôme n’ont pas le droit d’avoir un avis.

Un blog n’est-il pas finalement que la vision écrite (ou filmée) d’une conversation du café du commerce. Ici, je vais m’amuser à analyser l’actu, à donner mon opinion mais je ne
pose aucune vérité établie, je ne cherche pas à recouvrir ma prose d’un vernis de crédibilité pour vous faire adhérer à mon avis. Pour moi, la différence majeure entre journal et blog, c’est le but. Un journal cherche à informer et à faire comprendre alors que le blogueur cherche à partager. Une musique, un coup de cœur, une opinion mais il partage.

Je suis un peu fatiguée par cette volonté de toujours opposer les uns aux autres. Le fait de bloguer n’est pas du journalisme et je trouve très grave de faire l’amalgame. Parce que
c’est écrit, on a l’impression que c’est indiscutable, on se méfie plus des journalistes que des blogueurs sous prétexte que les blogueurs annoncent clairement leurs orientations politiques et sont « libres ». Pourtant, pas mal d’intox circulent sur le net comme les nombreux hoax qu’on reçoit par mails et que certains prennent pour argent comptant.

Le journaliste, lui, a une obligation morale et éthique de ne pas avancer n’importe quoi. Notre métier implique non seulement un savoir-faire qui ne s’acquiert pas en claquant des
doigts, un réseau constitué au fil des expériences, une rapidité d’exécution née de la pratique mais surtout une déontologie. La rumeur ne doit pas faire les choux gras des journaux. Bien sûr, ça, c’est la théorie. Mais tout de même, je suis lassée de voir à quel point mon métier est bradé aujourd’hui. Bien sûr que je savais écrire avant de commencer mon « master professionnel ». Mais j’oubliais parfois, comme mes camarades, que le but premier d’un article, c’est d’informer donc les titres semi obscurs genre on fait du Libé mais on pousse le bouchon trop loin, on oublie. Si on veut faire des effets de style qui rendent nos propos limite incompréhensible, on écrit un roman. Un article de journal, il faut que ce soit compréhensible pour tous. Sujet, verbe, complément, pas la peine de faire des phrases de 4 km de long. On apprend aussi l’art de choisir la bonne photo, comment fonctionne une caméra, ce qu’il faut filmer, les montages d’images qui donnent du sens, éviter les faux plans, les mauvais raccords, travailler sa voix pour la faire paraître plus spontanée. Quoi qu’en disent certains qui méprisent le journaleux, c’est
un vrai métier.

18 réflexions sur “N’importe qui peut faire mon métier

  1. Oui, quoiqu’on puisse aussi être journaliste sans dipl^moe. Ceci étant je te rejoins sur le fait que non, un bloggueur n’est pas journaliste.

    Quel est ton avis de journaliste sur la situation des quotidiens payants?

    Vu l’érosion continue de leur ventes, je me fais du soucis. Obligés d’attirer le lecteur à coup de DVDs, de collections de CDs… Combien de temps cela marchera t’il? Si un jour le Monde devait disparaitre ce serait une catastrophe et l’horizon culturel serait bien sombre.

    Crois-tu que le ados d’aujourd’hui seront des lecteurs de presse quotidienne de qualité (donc pas le Parisien et assimilés) de demain? Je n’en ai pas l’impression mais j’espère me tromper.

  2. d’accord avec toi globalement, sauf que quand je pose mes yeux sur un article du Sun (et pas que la fameuse page 3 hein!) j’ai pas l’impression que le type qui a pondu ça puisse se vanter d’être journaliste, et pourtant il l’est, quoique j’en dise…

  3. Tiens, je sais pas si tu as vu Zemmour hier chez Ruquier, ils parlaient justement de ça. Sa grande crainte c’est que l’info arrive directement aux mains des auditeurs/lecteurs/téléspectateurs sans analyse préalable par des journalistes. Pour eux ce serait un peu la cata car le journaliste a un rôle d’analyse, de prise de recul etc Il disait aussi que si les gens se méfiaient des journalistes c’était peut-être à cause du fait que toutes les chaînes et journaux présentaient plus ou moins la même ligne, la même pensée (genre de gauche bien pensante) et que les lecteurs ne se reconnaissent plus dans les journalistes. Ajoute à ça le fait que la plupart des gens pensent que les journalistes sont « de mèche » avec les politiques…
    Pour moi le rôle des journalistes est essentiel, ils sont les garants d’une certaine objectivité (enfin je parle des « journalistes sérieux », pas de certains pourris sans aucune déontologie qui jettent le discrédit sur la profession)

  4. @boulou : l’info non analysée qui arrive directement aux mains des lecteurs ça existe déjà, ça s’appelle un quotidien gratuit. PAs d’analyse ni d’éclairage, de l’info brute style AFP.

    @ matt D’accord avec toi, il y a divers degrés de journalisme. La page 3 du Sun c’est encore ce qui a de mieux dans ce torchon anti-français -et anti tout d’ailleurs- qui appartient à Murdoch, ceci expliquant cela.

    Finalement c’est comme chanteur : l’est on parce qu’on chante? Kiberlain, Semoun, Bruni et autres Darmon sont-ils des chanteurs?

  5. Vois-tu ma puce, moi qui suis en Business Cool, je me demande dd plus en plus si je ne vais « faire journaliste » parce que j’ai tellement de plaisir à ecrire que je me dis « pourquoi pas en faire mon taff »…

    Bonne soirée ma belle,

    Lucas (purée, encore un candidat sur le marché du travail)

  6. En tant que blogueur, il est clair pour moi que je ne suis pas un journaliste et loin de moi cette idée. Mais je pense que l’on est en droit de se poser cette question, car posséder son blog c’est quoi en faites c’est personnalisé son information selon ses envies, ses inspirations, ses intérêts et donc on prend part à une nouvelle manière de consommer l’information. Après le tout est de savoir si le fait d’échanger sur une information fait de nous un journaliste ou pas, à chacun son avis.

    @boulou : certains ou certaines journalistes sont tellement « de mèche » avec les politiques qu’ils partagent le même lit.

  7. Un peu d’accord , d’autant que je trouve aussi agacant certains bloggeurs qui se veulent journalistes , jusqu’au jour ou attaqués en justice , ils se refugient alors dans le statut de « l’amateurisme » …

    Monputeaux , si tu nous regarde …

    Le Petit Nico

  8. peut-on considérer comme un journaliste celui ou celle qui nous relate des faits genre »le président, vêtu d’un costume bleu a descendu les marches face aux photographes…. Au volant de son véhicule un homme alcoolisé a été a l’origine d’un carambolage qui a fait 10 morts et 8 victimes grièvement blessées ». Ce n’est pas la petite histoire, aussi dramatique soit elle qui fait la grande histoire, celle qui influence nos vies. Au final, tu te dis, au fait il était où le président, et pourquoi? Alors exprimer son opinion fait au moins réagir: on est pour, on est contre mais au moins ça oblige à s’exprimer! Alors oui, vive les journalistes de « comptoir de bistrot » qui on encore un peu d’émotion quand ils s’expriment et te noient pas dans la fatitude bien fade d’une actualité égrainée comme on égrainerait un chapelet, bien polissée, sans couleur, sans odeur, sans saveur et surtout sans aucun sens. Par contre il me semble que c’est un gros boulot d’être vraiment journaliste, et encore plus avec de la spontanéité et de l’émotion « maîtrisées », alors je ne pense pas que « serait journaliste qui veut ».

  9. Je serai meme tentee de me demander si ca ne va pas plus loin, et si en fait ce probleme ne revelerai pas une tendance assez marquees des gens au « Do it yourself » (ou, comment coirire qu’on peut faire tout seul aussi bien que ceux dont c’est le metier).
    C’est croire que parcequ’on tine sun blog, hop, on est journaliste (a quand une plateforme de blog distribuant des cartes de presses ??) , c’est croire que qu’en achetant un « tout ce que vous avez besoin de savoir sur le droit en 200 pages » on peut faire ausi bin qu’un avocat (et franchement si j’avais su je me ferai pas C*** avec mes 7 ans d’etudes), c’est croire (dans un domaine plus leger) qu’en s’achetant un kit coloration de chez l’Oreal on pourra faire aussi bien qu’une coiffeuse dilpomee….

    Qui blamer, je n’en sais rien, mais cela laisse songeur….

  10. Je pense qu’il y a une double dérive : l’amélioration des blogs qui ne sont plus (uniquement) des journaux intimes mais qui présentent une analyse fine et critique des évènements et la dégradation de certains articles de journaux qui s’apparent à des périphrases de rubriques AFP.
    D’où la conclusion un peu trop rapide de « tous journalistes ».
    Je viens d’ouvrir un blog (http://elogedelapipeautique.over-blog.com) et j’ai immédiatement précisé que ce blog retraçait ma vision subjective de ce qui se passe autour de moi, il est évident que je ne suis pas journaliste et que je ne me ressens pas comme tel.

  11. Quid des blogs d’actualité, des blogs philo, des blogs d’analyse en somme ? Quid des blogs de journaliste ? Ca devient plus complexe que des blogs de partage, comme tu dis.

    Le fin mot de l’histoire, c’est que c’est à chacun de faire preuve de sens critique, et pas de gober tout ce qu’il peut lire sur un blog. Ou entendre/lire de la bouche/plume d’un journaliste. Les journalistes qui expliquent que les journalistes sont nécessaires, ça fait tout de même un peu plaidoyer pro domo 🙂
    Et malheureusement, si les gens se méfient des journalistes, ce n’est sans doute pas parce qu’ils ont tous un discours de gauche bien-pensante comme a l’air de le penser Eric Zemmour, journaliste au Figaro (j’ai pas vu beaucoup de grands médias mener de grandes campagnes de presse opposées à Sarkozy et à son gouvernement), mais bien, je pense, parce que :
    1. Beaucoup ont effectivement tous le même discours, peu éloigné de celui des puissants de ce monde et
    2. Il y a peu d’Albert Londres, et beaucoup de Christine Ockrent, reine des ménages où elle va vendre son image pour animer des séminaires d’entreprise.

  12. @gwoui: c’est exactement ce que dit Zemmour, trop de discours dans lesquels ne se reconnaissent les gens (il prenait le type de gauche bien pensant comme exemple mais il le disait dans un sens général). Et je suis d’accord avec le fait que tout le monde doit faire preuve d’esprit critique mais le fait d’amasser des informations, de les recouper, de savoir quelle source est fiable, de poser les questions essentielles, pour moi, n’importe qui ne peut pas faire ça… Enfin moi j’ai pas le temps, et je pense que c’est justement le boulot des jounralistes (que je suis incapable de faire par moi-même…)

  13. Bien sûr que non, tout le monde n’est pas journaliste!
    La blogosphère peut permettre de révéler certains talents mais il n’y a qu’à voir le nombre restreint de blogs de qualité sur la masse….

    Et puis, être journaliste, c’est comme n’importe quel métier… suffit pas se s’autoproclamer; il faut faire ses preuves.

    A mon sens, quand on sort d’une école de journalisme, on n’est pas (encore) journaliste. Et ça vaut pour tous les métiers.

    Sidji

  14. Tiens c’est marrant j’ai déjà lu ça quelque part…

    Tiens c’est marrant (bis) je songeais justement moi aussi réutiliser ce que j’avais écris sur le sujet pour le mettre sur mon blog (sachant toutefois que mon point de vue a un peu évolué depuis)

  15. Je suis bien d’accord: un jounaliste ne peut pas faire que donner son opinion: mais quels que soient les faits (et effectivement un accident en est un aussi), on a trop souvent droit à des exposés de faits, tous déclinés sur la même tonalité sans lien avec l’histoire, grande ou petite qui a pu amener ces problèmes et sans véritable liaison avec les conséquences. Je trouve que l’on a de plus en plus de descriptions de faits, sans leurs effets et sans les générateurs de faits. Or, je pense que pour se forger une vraie réflexion, une opinion constructive et donc apprendre à apprendre pour évoluer, il est important de replacer les faits dans le contexte. L’intérêt de la critique (je rappelle que la critique peut être positive) c’est de faire avancer: et là c’est le boulot des journalistes que de faire l’état des lieux certes mais aussi l’histoire des lieux et la liste des travaux envisagés! Après effectivement chacun ses goûts et comme D. Pennac nous l’a si bien dit dans son roman « comme un roman », il n’y a pas de lectures qui seraient « bonnes » et d’autres qui seraient « inférieures » (pour ne pas dire de la M….) car de toute façon, il faut déjà l’écrire son bouquin ou son article!!! Et c’est pareil pour les lecteurs ou les « écouteurs d’informations »: il faut déjà s’intéresser à ce qui se passe autour de soi!!! Alors vive les journalistes quand ils nous permettent de trouver ce que chacun d’entre nous cherche dans la connaissance de l’autre, ou d’un domaine particulier.

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